Alors que les prochaines semaines seront cru­ciales pour la réforme de la PAC au niveau européen, la plate­forme Pour une autre PAC s’est asso­ciée à une quar­an­taine d’or­gan­i­sa­tions européennes dans une let­tre invi­tant les décideurs poli­tiques européens à assur­er l’aligne­ment de la réforme de la PAC sur les ambi­tions du Pacte vert et plus pré­cisé­ment, des straté­gies “De la ferme à la table” et “Bio­di­ver­sité”.

Par­mi les autres sig­nataires de la let­tre se trou­vent à la fois sept plate­formes homo­logues à Pour une autre PAC dans d’autres Etats mem­bres (par exem­ple, Cam­bi­amo Agri­coltura en Ital­ie ou Koal­ic­ja żywa ziemia en Pologne) et des organ­i­sa­tions para­pluie brux­el­lois­es (telles que le Bureau européen de l’en­vi­ron­nement, Euro­pean Pub­lic Health Alliance, Com­pas­sion in World Farm­ing, Slow Food Europe, etc.). Toutes ces organ­i­sa­tions brux­el­lois­es, ain­si que Pour une autre PAC, sont ensem­ble mem­bres de la EU Food Pol­i­cy Coali­tion.

La let­tre est disponible ci-dessous en ver­sion française, ou ici en for­mat télécharge­able, et là en ver­sion anglaise.

Lettre ouverte à la Présidente de la Commission européenne, à la présidence du Conseil de l’Union européenne, à la Conférence des Présidents du Parlement européen, appelant à un alignement de la réforme de la Politique Agricole Commune avec le Pacte vert 

Brux­elles, le 30 sep­tem­bre 2020

Chère Mme von der Leyen,
Chère Mme Merkel,
Cher M. Sassoli,
Cc : prési­dents des groupes poli­tiques du Par­lement européen

Nous, organ­i­sa­tions de l’U­nion européenne tra­vail­lant sur l’al­i­men­ta­tion, l’a­gri­cul­ture, le développe­ment, le cli­mat, l’en­vi­ron­nement et la san­té publique, écrivons pour exprimer notre pro­fonde préoc­cu­pa­tion devant le con­stat de l’actuel échec de la réforme de la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) à refléter les pri­or­ités du Pacte vert. La nou­velle PAC doit devenir un puis­sant out­il de trans­for­ma­tion des poli­tiques, en sorte d’en­gager une tran­si­tion urgem­ment req­uise vers des sys­tèmes ali­men­taires souten­ables et sociale­ment justes. C’est pourquoi nous vous exhor­tons à agir main­tenant pour align­er pleine­ment la PAC avec le Pacte vert.

Les sci­en­tifiques prévi­en­nent que la fenêtre d’op­por­tu­nité dont nous dis­posons pour empêch­er un change­ment cli­ma­tique cat­a­strophique ain­si qu’un effon­drement de la bio­di­ver­sité est en train de se fer­mer. Les con­seillers sci­en­tifiques de la Com­mis­sion européenne elle-même ont con­clu à des preuves incon­testa­bles de ce qu’« un change­ment sys­témique rad­i­cal [des sys­tèmes ali­men­taires] s’im­pose, le statu quo ne faisant doré­na­vant plus par­tie des options viables ». Tout au long des chaînes d’ap­pro­vi­sion­nement ali­men­taire, paysans et tra­vailleurs, en Europe et dans le monde, sont des acteurs clés dans cette néces­saire tran­si­tion, et la PAC doit leur fournir un cadre poli­tique et financier appro­prié pour men­er à bien ces change­ments et adaptations.

Le Pacte vert est le résul­tat des élec­tions européennes de 2019 et une réponse à des appels sans précé­dent à des mesures pour le cli­mat et l’en­vi­ron­nement, venus de l’ensem­ble de la société et en par­ti­c­uli­er de la jeunesse. Il est la tra­duc­tion des engage­ments européens en faveur du cli­mat et de l’en­vi­ron­nement — de l’Ac­cord de Paris à la Con­ven­tion sur la diver­sité biologique et aux Objec­tifs de développe­ment durable — et un mar­queur cen­tral de l’ambition de l’UE sur ces enjeux. La stratégie « De la ferme à la table » et la stratégie « Bio­di­ver­sité » sont des piliers du Pacte vert, et ont été approu­vées tant par le Par­lement que par les gou­verne­ments européens. Un man­dat démoc­ra­tique fort porte le Pacte vert et les straté­gies « De la ferme à la table » et « Bio­di­ver­sité » et nous atten­dons de vous que vous les concrétisiez.

La pandémie de la Covid-19 a mis en lumière le fait que la dégra­da­tion des écosys­tèmes causée par l’in­ten­si­fi­ca­tion de l’agriculture (en par­ti­c­uli­er de l’él­e­vage) et par la mon­di­al­i­sa­tion de mod­èles non durables de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion, aug­mente le risque d’émer­gence de nou­velles zoonoses. Dans le même temps, en Europe et dans le monde, la mal­nu­tri­tion demeure une cause majeure de mau­vaise san­té et de morts pré­maturées, et le dérè­gle­ment cli­ma­tique affecte déjà des mil­lions de personnes.

Le moment est venu pour l’Eu­rope de pren­dre ses respon­s­abil­ités en ouvrant la voie allant de ces fragilités à une nou­velle vital­ité. La PAC est une part essen­tielle de cette équa­tion. Seule une poli­tique agri­cole impul­sant de nou­velles syn­er­gies entre paysans, con­som­ma­teurs et envi­ron­nement saura faire face aux plus grands défis de la décen­nie. La PAC doit soutenir des mod­èles de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion qui réduisent la con­som­ma­tion européenne de ressources naturelles à des niveaux justes et souten­ables. C’est pourquoi nous croyons qu’un change­ment de par­a­digme en faveur de l’a­groé­colo­gie est néces­saire pour con­stru­ire des sys­tèmes ali­men­taires souten­ables et résilients envi­ron­nemen­tale­ment, sociale­ment et économique­ment, posi­tion que parta­gent l’Or­gan­i­sa­tion des Nations Unies pour l’al­i­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture ain­si que le Secré­tari­at de la Con­ven­tion sur la bio­di­ver­sité biologique. Les paysans et tra­vailleurs, tout au long des chaînes d’ap­pro­vi­sion­nement ali­men­taire, doivent être aux avant-postes de cette transition.

Les défis aux­quels l’Eu­rope est con­fron­tée sont nom­breux et com­plex­es — des crises cli­ma­tique et de la bio­di­ver­sité à la déser­ti­fi­ca­tion rurale ; de l’eu­ro-scep­ti­cisme crois­sant aux men­aces de la crise économique —, requérant un lead­er­ship fort et des poli­tiques de longue portée. Le Pacte vert peut fournir ce lead­er­ship et cette vision de long terme, mais unique­ment si les instru­ments poli­tiques et ressources clés sont mobil­isés et si tous les niveaux de gou­ver­nance tra­vail­lent de con­cert pour en hon­or­er les engagements.

Nous vous exhor­tons plus spé­ci­fique­ment, en tant que dirigeants des insti­tu­tions européennes, à amender la réforme de 2018 de la PAC pour la met­tre en con­for­mité avec la stratégie « De la ferme à la table » et la stratégie « Bio­di­ver­sité » au regard des trois grandes pri­or­ités suivantes :

1. Don­ner à la PAC une direc­tion claire et une gou­ver­nance rigoureuse

  • en inté­grant les objec­tifs per­ti­nents du Pacte vert au sein de la PAC et en liant claire­ment l’allocation de sub­ven­tions à l’atteinte pro­gres­sive des objec­tifs de la stratégie « De la ferme à la table » et dans la stratégie « Biodiversité » ;
  • en assur­ant la cohérence de la PAC avec les poli­tiques de l’UE en matière de san­té (en con­for­mité avec l’ap­proche « one health »), de cli­mat, de développe­ment inter­na­tion­al, de tran­si­tion juste, d’é­conomie cir­cu­laire et d’ob­jec­tifs zéro pollution ;
  • en engageant une tran­si­tion vers une poli­tique agri­cole soucieuse des enjeux de nutri­tion, qui sou­ti­enne la pro­duc­tion d’en­vi­ron­nements ali­men­taires sains et souten­ables en Europe ;
  • en met­tant à jour le cadre de per­for­mance de la PAC pour refléter les pri­or­ités de la stratégie « De la ferme à la table », par exem­ple par l’a­jout d’indi­ca­teurs de résul­tat et d’im­pact sur la nutrition ;
  • en amélio­rant les règles sur la trans­parence et la par­tic­i­pa­tion publique dans la pré­pa­ra­tion des Plans Stratégiques Nationaux, en con­for­mité avec la con­ven­tion d’Aarhus.

2. Assurer que la PAC ne soutienne ou n’incite pas à des pratiques dommageables ou incompatibles avec le Pacte vert

  •  en ren­forçant les garde-fous pour cess­er et empêch­er le sou­tien aux pra­tiques agri­coles ayant des impacts envi­ron­nemen­taux, cli­ma­tiques, san­i­taires négat­ifs ou nuisant aux agri­cul­tures des pays du Sud, telles que l’él­e­vage inten­sif, ou ne respec­tant pas la lég­is­la­tion en matière de bien-être animal ;
  • en inté­grant un principe de non-nui­sance strict à la con­di­tion­nal­ité des paiements — inclu­ant une den­sité max­i­male pour les éle­vages, un min­i­mum d’in­fra­struc­tures agroé­cologiques, la réduc­tion de l’usage des pes­ti­cides, la pro­tec­tion des tour­bières et des prairies per­ma­nentes et la rota­tion des cultures ;
  • en intro­duisant une con­di­tion­nal­ité sociale garan­tis­sant que les béné­fi­ci­aires de la PAC respectent le droit du tra­vail, les stan­dards soci­aux et con­ven­tions col­lec­tives sur le travail ;
  • en assur­ant que la PAC soit pleine­ment con­forme au principe de cohérence des poli­tiques de développe­ment inclus dans les traités européens.

3. Donner aux paysans et acteurs ruraux les moyens de conduire un changement positif

  • en allouant suff­isam­ment de bud­get de la PAC pour inciter et rémunér­er les paysans œuvrant dans le sens des objec­tifs du Pacte vert, notam­ment pour la réduc­tion des pes­ti­cides, des engrais azotés et des antibi­o­tiques, le développe­ment de l’a­gri­cul­ture biologique, l’a­groé­colo­gie, l’a­gro­foresterie, d’infrastructures agroé­cologiques, la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, la lutte con­tre le gaspillage ali­men­taire, l’amélio­ra­tion des cycles de nutri­ments, la pro­tec­tion et la restau­ra­tion d’é­cosys­tèmes (en par­ti­c­uli­er dans les zones Natu­ra 2000), et par la tran­si­tion des régimes alimentaires ;
  • en garan­tis­sant que les instru­ments de la PAC con­tribuent à ce que la valeur ajoutée reste dans les économies locales au tra­vers des cir­cuits courts, favorisent les mod­èles économiques ruraux ori­en­tés vers la san­té et la dura­bil­ité, accom­pa­g­nent les paysans dans la tran­si­tion agroé­cologique, notam­ment par la réduc­tion de la den­sité des éle­vages et la diver­si­fi­ca­tion des ter­ri­toires et des fermes.

En ces temps extra­or­di­naires de crises mul­ti­ples, l’Eu­rope doit con­stru­ire une voie d’avenir qui réponde aux exi­gences de court terme par une vision de long terme. C’est pourquoi nous espérons que vous saurez don­ner à nos préoc­cu­pa­tions et pré­con­i­sa­tions la con­sid­éra­tion qu’elles requièrent, et agir pour ren­dre pos­si­ble un futur plus vert, plus juste et plus sain pour le secteur agricole.

Avec l’expression de nos sen­ti­ments distingués.