La Poli­tique Agri­cole Com­mune est une poli­tique essen­tielle­ment ori­en­tée vers la pro­duc­tion agri­cole. La ques­tion de sa mise en cohérence avec d’autres poli­tiques sec­to­rielles ou trans­ver­sales de l’Union européenne est récur­rente, notam­ment sur le plan de l’alimentation et de la san­té, mais égale­ment la régle­men­ta­tion sur le bien-être ani­mal ou encore le développe­ment des pays du Sud. Par­mi les trois règle­ments régis­sant la PAC, ceux sur les plans stratégique et sur l’Organisation Com­mune des Marchés con­ti­en­nent des dis­po­si­tions qu’il con­viendrait de réformer aux regards des autres poli­tiques portées par l’UE. 

Dans quelle mesure l’accord européen aligne-t-il la future PAC sur les autres poli­tiques publiques de l’Union européenne liées à l’agriculture et l’alimentation ?

La stratégie Farm to Fork et les enjeux alimentaires et de santé publique 

Dans le cadre de la créa­tion de son Pacte vert, ou Green Deal, la Com­mis­sion européenne a pro­posé, sous la forme d’une com­mu­ni­ca­tion parue en décem­bre 2019, une stratégie visant à créer « des sys­tèmes plus effi­caces, adap­tés au change­ment cli­ma­tique, four­nissant des ali­ments sains, tout en garan­tis­sant un niveau de vie décent aux agricul­teurs et aux pêcheurs de l’UE » (Com­mis­sion européenne) : la stratégie “De la ferme à la table”, ou Farm to Fork.

Pilotée par la Direc­tion générale de la San­té (DGS) de la Com­mis­sion européenne, la pub­li­ca­tion de la stratégie Farm to Fork a posé la ques­tion de sa capac­ité à englober la PAC afin de dot­er l’UE d’une approche sys­témique pour l’agriculture, l’alimentation mais égale­ment la santé.

Aux côtés du volet envi­ron­nemen­tal et cli­ma­tique, par­tielle­ment traité dans la PAC, la stratégie Farm to Fork prévoit des objec­tifs en matière d’accessibilité et de sécu­rité ali­men­taire, de nutri­tion et de san­té publique. Bien que ces enjeux fig­urent égale­ment dans les objec­tifs spé­ci­fiques de la PAC inscrits dans le règle­ment, aucune inter­ven­tion n’est pro­posée explicite­ment pour y répon­dre. La PAC con­tin­uera d’être conçue pour la pro­duc­tion agri­cole, et non au ser­vice de la demande ali­men­taire des citoyen·nes : peu de moyens sont dédiés au développe­ment des fil­ières ter­ri­to­ri­al­isées de trans­for­ma­tion ou de vente, et encore moins à l’accessibilité de tou·tes à des pro­duits ali­men­taires de qualité.

Développement des pays du Sud : des progrès dans le règlement sur l’Organisation Commune des Marchés et dans les soutiens aux protéines végétales

Les règles actuelles du com­merce inter­na­tion­al agri­cole poussent les paysan·nes européen·nes à pro­duire à bas coût, pour être com­péti­tifs sur le marché inter­na­tion­al , au prix d’in­vestisse­ments élevés et sources d’endettement. En plus du poids que cela fait peser sur la via­bil­ité économique des fer­mes européennes, les con­séquences sont égale­ment délétères pour les pays du Sud. L’exportation de pro­duits agri­coles provenant de fer­mes européennes béné­fi­ciant de  sub­ven­tions publiques frag­ilise les agri­cul­tures paysannes du Sud : ain­si, en Afrique, il revient moins cher d’acheter du lait en poudre importé et ren­grais­sé à l’huile de palme, que du lait pro­duit locale­men­t¹. L’Union européenne mène de longue date une poli­tique de développe­ment via le Fonds européen de développe­ment (FED), avec pour objec­tif prin­ci­pal l’éradication de la pau­vreté. L’incohérence entre ces ambi­tions en matière de développe­ment et les con­séquences délétères avérées du sys­tème d’aide européen sur la sécu­rité et l’autonomie ali­men­taires des pays du Sud devrait être un des motifs de refonte du sys­tème de sub­ven­tion de la PAC.

Les négo­ci­a­tions pour la future PAC ont abouti à des mod­i­fi­ca­tions sig­ni­fica­tives sur le règle­ment relatif à l’Organ­i­sa­tion Com­mune des Marchés (OCM), allant vers une meilleure régu­la­tion des marchés agri­coles. Activ­er les mesures de ges­tion de crise devrait doré­na­vant être plus sim­ple : les mesures comme la réduc­tion volon­taire de la pro­duc­tion seront pos­si­bles sans avoir à atten­dre que la crise se généralise. Tous les secteurs seront suiv­is par les obser­va­toires européens des marchés agri­coles qui auront notam­ment à assur­er un suivi des stocks ali­men­taires. Ces mod­i­fi­ca­tions devraient per­me­t­tre d’améliorer la ges­tion des sur­pro­duc­tions, afin de réguler les vol­umes de pro­duc­tion pour éviter l’écoulement mas­sif de den­rées à très bas prix dans les pays du Sud.

La sou­veraineté ali­men­taire des pays du Sud passe égale­ment par l’indépen­dance de l’UE vis-à-vis des pays tiers pour l’alimentation du bétail européen, aujourd’hui forte­ment con­di­tion­née par l’importation de soja d’Amérique du Sud par exem­ple. Le règle­ment européen relatif aux plans stratégiques fait un pas en avant sur ce sujet, en per­me­t­tant aux États mem­bres de soutenir de manière ciblée la pro­duc­tion de légu­mineuses, sans avoir à jus­ti­fi­er du car­ac­tère « en dif­fi­culté » de la fil­ière, jus­ti­fi­ca­tion nor­male­ment req­uise pour avoir recours aux aides cou­plées. La France utilis­era l’enveloppe budgé­taire max­i­male per­mise par le règlement.

Plus glob­ale­ment, il reste néan­moins regret­table que le règle­ment européen sur les plans stratégiques n’acte en réal­ité aucune remise en cause du mod­èle expor­ta­teur : aides de base à l’hectare et pro­grammes opéra­tionnels à des­ti­na­tions des indus­tries agro-ali­men­taires n’ont pas fait l’objet d’une refonte.

Bien-être animal : la PAC en décalage avec les avancées de la réglementation européenne à venir

La Com­mis­sion a pub­lié le 6 juil­let la liste des actions envis­agées pour révis­er la lég­is­la­tion sur le bien-être des ani­maux, soumise à con­sul­ta­tion sur la base d’une étude d’impact ini­tiale. Comme prévu par la stratégie Farm to Fork, la Com­mis­sion doit révis­er l’ensemble de la lég­is­la­tion sur le bien-être ani­mal d’ici la fin 2023.

En réponse à l’initiative citoyenne européenne (ICE) « End the Cage Age », visant à met­tre fin à l’élevage en cage et qui avait recueil­li près d’1,4 mil­lion de sig­na­tures, la Com­mis­sion présen­tera d’ici à fin 2023 une propo­si­tion lég­isla­tive pour une sor­tie pro­gres­sive des cages pour les tru­ies, veaux, poules et poulettes, canards, cailles, oies et lap­ins. Dans le même temps, lors du Con­seil Agri­cul­ture du 28 juin, l’Allemagne, Pays-Bas et Lux­em­bourg ont porté une déc­la­ra­tion appelant à inter­dire le trans­port ter­restre et mar­itime de longue dis­tance d’animaux à des­ti­na­tion de pays tiers.

Alors que la future PAC aurait pu anticiper ces régle­men­ta­tions en lim­i­tant l’éligibilité aux sub­ven­tions des sys­tèmes d’élevage indus­triels, aucune réelle con­di­tion­nal­ité de bien-être ani­mal ne sera mise en œuvre dans les États mem­bres. L’article relatif à l’éco-régime ne men­tionne pas le bien-être ani­mal, même si la Com­mis­sion européenne encour­age les États mem­bres à inté­gr­er des mesures de bien-être ani­mal dans ce nou­veau dis­posi­tif envi­ron­nemen­tal. En France, le min­istère de l’Agriculture et de l’Al­i­men­ta­tion a d’ores et déjà arbi­tré con­tre la prise en compte du bien-être ani­mal dans l’é­co-régime. En ce qui con­cerne le sec­ond pili­er, les États mem­bres auront la pos­si­bil­ité de soutenir l’amélio­ra­tion des pra­tiques d’élevage via les aides à l’in­vestisse­ment ou les mesures agro-envi­ron­nemen­tales et cli­ma­tiques (MAEC) mais, là non plus, rien ne sera obligatoire.

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De toute évi­dence, la réforme de la poli­tique agri­cole com­mune ne s’est pas faite à l’aune de la cohérence avec d’autres poli­tiques publiques com­mu­nau­taires en matière de san­té et d’alimentation ou encore de développe­ment. Un occa­sion man­quée de met­tre la PAC au ser­vice d’objectifs poli­tiques en matière d’accessibilité à une ali­men­ta­tion saine et de qual­ité, mais égale­ment de sou­veraineté ali­men­taire des pays du Sud, même si les avancées du règle­ment OCM en matière de régu­la­tion des marchés devraient apporter cer­taines amélio­ra­tions en la matière. Quant au bien-être ani­mal, la PAC n’a pas anticipé les évo­lu­tions régle­men­taires à venir : con­di­tion­ner les aides à l’évolution des sys­tèmes d’élevage vers le respect de stan­dards de bien-être ani­mal aurait per­mis de faire un pre­mier pas vers la fin de ces sys­tèmes, ce qui cor­re­spond à une attente citoyenne de plus en plus forte.

 

¹ Campagne N’exportons pas nos problèmes CFSI, SOS Faim