« L’ac­cord poli­tique pro­vi­soire con­clu ven­dre­di par le Par­lement européen et le Con­seil sur la nou­velle poli­tique agri­cole com­mune ouvre la voie à une PAC plus équitable, plus verte, plus respectueuse des ani­maux et plus sou­ple ». C’est ain­si que la Com­mis­sion européenne car­ac­térise l’issue des négo­ci­a­tions en tri­logues, qui se sont clô­turées les 24 et 25 juin dernier. « C’est la réforme la plus ambitieuse depuis 1992. Cette nou­velle PAC est alignée sur le Pacte vert », s’est même félic­ité  l’eurodéputé et négo­ci­a­teur Nor­bert Lins (PPE).

Mais que penser de l’accord poli­tique trou­vé au niveau européen con­cer­nant l’aspect environnemental ?
La PAC 2023–2027 sera-t-elle réelle­ment
« plus verte »  ? 

Une PAC censée s’inscrire dans la lignée du Pacte vert européen 

Dès 2017, la Cour des Compte de l’Union européen­ne¹ a mis en avant l’échec du paiement vert : une aide con­di­tion­née à trois critères envi­ron­nemen­taux, représen­tant un bud­get équiv­a­lent à 30% du pre­mier pili­er. La faib­lesse des critères retenus et les mul­ti­ples déro­ga­tions accordées ont fait que ce paiement n’a finale­ment apporté qua­si­ment aucun béné­fice envi­ron­nemen­tal. Plus récem­ment, deux rap­ports de cette même insti­tu­tion ont égale­ment mis en avant les lacunes de la PAC dans la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité² et du cli­mat³. Alors que plus d’un quart de l’ensem­ble des dépens­es agri­coles de l’UE de la péri­ode 2014–2020 – soit plus de 100 mil­liards d’eu­ros – a été alloué à la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, les émis­sions de gaz à effet de serre d’o­rig­ine agri­cole n’ont pas bais­sé depuis 2010.

Si la propo­si­tion de réforme mise sur la table en 2018 par la Com­mis­sion ne con­te­nait pas de cap clair en matière de tran­si­tion agroé­cologique, c’est la pub­li­ca­tion du « Green Deal », ou « Pacte vert », en décem­bre 2019, qui a per­mis aux yeux de la Com­mis­sion d’in­scrire le proces­sus de réforme de la PAC dans un hori­zon de tran­si­tion écologique. Dans ce cadre, les straté­gies « Bio­di­ver­sité » et « De la ferme à la table » fix­ent des objec­tifs en matière de préser­va­tion de la bio­di­ver­sité et de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, et notam­ment de réduc­tion des pes­ti­cides et des engrais de syn­thèse : des ambi­tions inédites au niveau communautaire.

Mais com­ment une réforme de la PAC déjà en cours de négo­ci­a­tion, avec une propo­si­tion lég­isla­tive antérieure au Pacte vert et rédigée par la précé­dente Com­mis­sion européenne, allait-elle pou­voir inté­gr­er les objec­tifs for­mulés par le Pacte vert ? Bien qu’elle n’ait pas mod­i­fié sa copie au regard de ces nou­veaux objec­tifs, la Com­mis­sion a comp­té sur les tri­logues pour amélior­er en con­séquence ses textes ini­ti­aux, d’un com­mun accord avec le Par­lement et le Con­seil. Mal­heureuse­ment, il s’ag­it d’une stratégie risquée, dans la mesure où les min­istres de l’agriculture européens s’y sont large­ment opposés.

Le Pacte vert n’a pas été l’unique source de dis­corde durant les tri­logues. Si la prési­dence alle­mande s’y est attaquée dès novem­bre 2020, la ques­tion de l’architecture envi­ron­nemen­tale de la PAC a été un des prin­ci­paux motifs de pro­lon­ga­tion des négo­ci­a­tions : pour­cent­age de bud­get pour l’éco-régime (nou­veau dis­posi­tif envi­ron­nemen­tal rem­plaçant le paiement vert), con­di­tion­nal­ité envi­ron­nemen­tale, etc. La majorité des points ont d’ailleurs été con­clus lors de l’ul­time réu­nion de négo­ci­a­tions des 24 et 25 juin dernier.

Un accord politique finalement bien en dessous des ambitions affichées dans le Pacte vert 

A l’issue des tri­logues, l’alignement des PSN sur le Pacte vert est léger et peu con­traig­nant pour les États mem­bres, du moins jusqu’en 2025.  Les straté­gies du Pacte vert sont men­tion­nées dans un con­sid­érant, tan­dis que l’article (juridique­ment con­traig­nant, con­traire­ment aux con­sid­érants) relatif au proces­sus d’approbation des PSN n’impose la con­for­mité des PSN qu’avec les textes juridique­ment con­traig­nants, ce qui exclut le Pacte vert en l’état. Si les objec­tifs du Pacte vert deve­naient juridique­ment con­traig­nants d’ici 2025, alors les États mem­bres seraient oblig­és de les inté­gr­er dans leurs PSN, à l’occasion d’une révi­sion oblig­a­toire. La Com­mis­sion pub­liera enfin un rap­port sur les plans stratégiques en 2023, puis en 2025 pour éval­uer la cohérence et la con­tri­bu­tion com­mune des PSN avec les objec­tifs du Pacte vert.

Socle de base à respecter pour les béné­fi­ci­aires de toutes les aides sur­faciques, la con­di­tion­nal­ité envi­ron­nemen­tale ressort certes ren­for­cée, puisque les critères de l’ancien paiement vert intè­grent ceux de la con­di­tion­nal­ité, mais à un niveau d’am­bi­tion tou­jours insuff­isant, dans la mesure où le paiement vert n’a pas per­mis de trans­for­ma­tion sig­ni­fica­tive des pra­tiques agricoles.

Con­cer­nant l’éco-régime, 25 % du bud­get du pre­mier pili­er devra lui être con­sacré. Mais pour 2023 et 2024, les États mem­bres pour­ront n’y con­sacr­er que 20 %. D’autres flex­i­bil­ités exis­tent égale­ment dans l’usage et le trans­fert des crédits à allouer à l’é­co-régime. De plus, les États mem­bres sont finale­ment assez libres de définir le con­tenu de leurs éco-régimes, la Com­mis­sion n’ayant fourni qu’une liste indica­tive, non con­tenue dans le règlement.

Le règle­ment fixe égale­ment un bud­get min­i­mum à allouer à l’environnement dans le sec­ond pili­er : ce planch­er est fixé à 35 % et le cal­cul pour­ra pren­dre en compte à 50 % les dépens­es liées à l’ICHN (indem­nité com­pen­satoire de hand­i­caps naturels), et à 100% le bud­get des MAEC (mesures agro-envi­ron­nemen­tales et cli­ma­tiques) et de la con­ver­sion à l’agriculture biologique, mais égale­ment  des investisse­ments verts, dont la déf­i­ni­tion reste encore floue.

La France n’a pas fait partie des États tirant les négociations vers le haut au cours des trilogues

La France a fait par­tie dans un pre­miers temps des États prô­nant cer­taines mesures ambitieuses au sein du Con­seil, mil­i­tant notam­ment pour ren­dre les éco-régimes oblig­a­toires pour les États mem­bres. Une fois la phase de tri­logues entamée, le min­istre Julien Denor­mandie (LREM) n’a cepen­dant pas tiré l’am­bi­tion vers le haut, faisant en sorte que le com­pro­mis poli­tique n’aille pas au-dessus de la ligne fixée par le Con­seil. La France a notam­ment pesé con­tre la hausse de l’ambition envi­ron­nemen­tale sur deux points : d’une part, en défen­dant la diver­si­fi­ca­tion à la place de la rota­tion dans la con­di­tion­nal­ité envi­ron­nemen­tale et d’autre part, en pous­sant pour la prise en compte de l’ICHN à 100% dans les dépens­es vertes du deux­ième pili­er. En défen­dant des arbi­trages a min­i­ma sur le volet envi­ron­nemen­tal, Julien Denor­mandie souhaitait s’assurer de ne pas avoir à revoir sa copie du PSN, déjà en cours de final­i­sa­tion au moment des négo­ci­a­tions en trilogues.

En effet, sur de nom­breux points de l’architecture envi­ron­nemen­tale, le min­istre français avait d’ores et déjà annon­cé que le PSN français serait aligné sur le min­i­mum européen, sans rehausse­ment sup­plé­men­taire (voir ci-dessous).

Au glob­al, la nou­velle PAC com­portera certes quelques avancées et répon­dra en cela cer­taine­ment à l’ambition envi­ron­nemen­tale du min­istre français de l’agriculture. Mais plutôt que de com­par­er cette PAC à la précé­dente, en se félic­i­tant des mai­gres pro­grès sur le plan envi­ron­nemen­tal, il con­vient de replac­er cette réforme dans le con­texte d’urgence face à la crise cli­ma­tique et à l’effondrement de la bio­di­ver­sité. Dans cette per­spec­tive, le décalage reste immense par rap­port à la refonte pro­fonde qu’aurait dû acter cette réforme. Le règle­ment européen ne pose pas de cadres suff­isam­ment con­traig­nants pour que les PSN enga­gent ce virage agroé­cologique, et il sem­ble inévitable que la majorité des États mem­bres se con­tenteront du min­i­mum fixé au niveau européen. L’éco-régime est emblé­ma­tique de cet échec annon­cé : les critères retenus en France ren­dront acces­si­bles la qua­si-total­ité des fer­mes en début de pro­gram­ma­tion, ce qui ne per­me­t­tra ni de rémunér­er de réels efforts envi­ron­nemen­taux, ni d’inciter à l’évolution vers des pra­tiques vertueuses.

Plus d’in­fos sur l’ac­cord trou­vé sur la PAC au niveau européen.

¹ https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/greening-21–2017/fr/
² https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR20_13/SR_Biodiversity_on_farmland_FR.pdf
³ https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR21_16/SR_CAP-and-Climate_EN.pdf