Les ministres de l’agriculture des États membres de l’UE ont scellé au petit matin leur accord sur la réforme de la Politique Agricole Commune. Malgré un accord présenté comme très vert, le Conseil n’a, dans les faits, répondu à aucune des nombreuses attentes sociétales. Il n’apporte non plus aucune réponse aux défis sociaux et économiques auxquels est confronté le monde paysan actuel. Pour une autre PAC dénonce l’immobilisme coupable du Conseil, qui condamne la prochaine PAC à servir un modèle agricole obsolète.
Une prochaine PAC tellement plus verte, vraiment ?
La ministre allemande de l’agriculture, Julia Klöckner, qui orchestrait les négociations, avait adopté hier soir une rhétorique des plus prometteuses : elle annonçait la nécessité d’un changement de système. Elle répétait à l’envi que l’architecture environnementale était sa priorité absolue. Ce discours très ambitieux se retrouve dans les annonces officielles du Conseil : ce dernier aurait fait preuve d’un progressisme inouï en actant un ecoscheme – la future mesure verte du premier pilier de la PAC – obligatoire pour les États membres avec un budget minimal de 20 % (et des flexibilités pour deux des cinq années de sa mise en œuvre).
Mais à l’aube de la décennie de la dernière chance, peut-on vraiment se réjouir sans rougir des dispositions environnementales actées par le Conseil ? Allouer dans le meilleur des cas 15% du budget total de la PAC à la rémunération des pratiques agricoles bonnes pour l’environnement, tout en ouvrant de sérieuses brèches dans la conditionnalité environnementale et en incluant les aides à l’investissement dans les mesures comptant au titre des dépenses environnementales du 2e pilier, ne constitue en aucun cas un résultat satisfaisant. Cet accord est loin, très loin, de permettre à la prochaine PAC de réorienter massivement les paysan·nes européen·nes vers la transition agroécologique à horizon 2027.
Sur les autres enjeux, l’accord oscille entre le néant et le retour en arrière
Les communications du Conseil à la sortie de l’accord sont muettes sur tous les enjeux autres que l’architecture environnementale. Et pour cause, le Conseil s’est soit affranchi de leur apporter des réponses, ou a pris la liberté d’opter pour des règles encore moins ambitieuses que dans l’actuelle PAC.
- Sur la redistribution des aides, le Conseil a ainsi validé un plafonnement et un paiement redistributif facultatifs pour les États membres (alors qu’au moins l’un des deux est obligatoire aujourd’hui), offrant même aux États membres des flexibilités dans les méthodes de calcul de la dégressivité des paiements.
- Concernant le renouvellement générationnel, plutôt que de remettre en cause les aides à la surface, les États membres pourront soutenir l’installation des jeunes agriculteur·rices via le renforcement de leurs aides à l’investissement, mesure largement insuffisante pour espérer combler les départs à la retraite de la moitié des paysan·nes français·es d’ici 10 ans.
- Sur la question de la gestion des risques, plus de budget pourra être alloué au cofinancement des assurances privées, limitant toujours plus la réaction publique face à la multiplication des aléas et l’indispensable prévention des risques.
- Quant à l’objectif de souveraineté alimentaire de l’UE, à l’impératif de cohérence entre la PAC et la politique de développement, et à l’obligation de financer l’amélioration du bien-être animal ou la conversion à l’agriculture biologique, rien, pas un mot. Ces silences témoignent d’un mépris total du Conseil à l’égard des attentes des citoyen·nes européen·nes, mais aussi d’un renoncement à tirer des enseignements de la crise de la Covid-19 ou encore à mettre la prochaine PAC au service de l’atteinte des objectifs du Pacte vert.
Mais qu’a obtenu la France ?
Si la France a défendu une position globalement meilleure que la majorité des États membres durant les négociations, elle s’aligne au bout du compte sur un consensus au rabais, ayant voté en faveur de l’accord. Il semblerait que l’incapacité à garantir un revenu décent aux agriculteur·rices, la multiplication des aléas climatiques et sanitaires, la diminution constante du nombre de fermes, les multiples manifestations des citoyen·nes pour un changement radical de système agricole et alimentaire, etc., n’aient pas laissé de traces suffisamment marquantes pour que Julien Denormandie refuse un texte qui ne les prendrait pas dûment en considération.
Suite du processus de négociation de la réforme de la PAC
Désormais, le Parlement européen doit lui aussi finaliser sa position sur la réforme de la PAC, ce qui sera fait ce vendredi 23 octobre au soir (autre jalon important pour lequel Pour une autre PAC rédigera un communiqué de presse). Ensuite, le Parlement, le Conseil et la Commission européenne pourront lancer l’ultime phase des négociations au niveau européen, les trilogues. Ce n’est qu’à l’issue de ceux-ci, probablement entre mars et juin 2021, que la version finale des règlements européens encadrant la réforme de la PAC sera connue.
Mais d’ores et déjà, au vu de la teneur de l’accord du Conseil pour la prochaine PAC, Pour une autre PAC demande au gouvernement français, pour la déclinaison nationale des règlements dans son Plan Stratégique National, d’aller au-delà des minima imposés aux États membres pour contribuer à compenser les échecs de la négociation européenne.