Notre bilan de la PAC 2015–2020

La Poli­tique Agri­cole Com­mune (PAC) 2015–2020 a man­qué sa cible. Annon­cée comme plus verte et plus juste, elle n’a pas changé de cap ni mis fin aux pres­sions exer­cées sur la nature et les paysan·ne·s. En effet, la PAC s’est illus­trée par le main­tien d’un sou­tien pub­lic mas­sif au prof­it de l’agriculture agro-indus­trielle. Pour une autre PAC revient ici sur le bilan de ces cinq dernières années.

Une politique publique coûteuse et mal répartie

La PAC 2015–2020 n’a répon­du ni aux besoins des petites et moyennes fer­mes, ni aux attentes des consommateur·rice·s. La plu­part de son bud­get béné­fi­cie encore à des producteur·rice·s inscrit·e·s dans un mod­èle agro-indus­triel inten­sif. Les aides, cal­culées en fonc­tion du nom­bre d’hectares d’une ferme et d’anciennes références de ren­de­ment, pénalisent injuste­ment les fer­mes de petite taille, les fer­mes diver­si­fiées et cer­tains types de pro­duc­tion. Mal­gré des ten­ta­tives pour mieux répar­tir le bud­get entre les fer­mes, la PAC n’est pas non plus par­v­enue à assur­er un revenu à tou·te·s les paysan·ne·s.

L’agriculture pensée sans l’alimentation

La PAC, conçue unique­ment pour la pro­duc­tion agri­cole, est décon­nec­tée de l’aval de la fil­ière, en par­ti­c­uli­er de la con­som­ma­tion. Elle occulte ain­si la demande citoyenne pour une ali­men­ta­tion saine, goû­teuse et de qual­ité, au prof­it d’une pro­duc­tion de masse au ser­vice de la com­péti­tiv­ité de l’agro-alimentaire. De plus, elle favorise la spé­cial­i­sa­tion, plutôt que d’inciter à la relo­cal­i­sa­tion et à la diver­si­fi­ca­tion des pro­duc­tions ali­men­taires au sein des ter­ri­toires. Même la san­té des consommateur·rice·s n’est pas prise en compte : les risques liés aux pes­ti­cides ne sont pas pris en con­sid­éra­tion et aucun dis­posi­tif ne vise à réduire sig­ni­fica­tive­ment leur usage.

Dérégulation des échanges internationaux au détriment du développement des agricultures des pays du Sud

La réforme 2015–2020 a très net­te­ment pour­suivi l’orientation libérale de la PAC amor­cée depuis 1992. Elle a con­tin­ué à déréguler les marchés sans pro­téger les paysan·ne·s con­tre la volatil­ité des prix. Pour­tant, l’absence de maîtrise des vol­umes de pro­duc­tion favorise l’arrivée mas­sive de pro­duits européens exportés à des prix inférieurs à leur coût de revient. Les pro­duits européens con­cur­ren­cent alors déloyale­ment les den­rées locales pro­duites par les pays du Sud, ce qui nuit à leur sou­veraineté ali­men­taire. En par­al­lèle, même les paysan·ne·s européen·ne·s ne sor­tent pas gagnant·e·s de cette sit­u­a­tion : ils ne peu­vent pas tir­er un revenu décent de leurs prix de vente, fixés tou­jours plus bas pour gag­n­er des parts de marché à l’export.

Un manque cruel d’incitation à la transition vers l’agroécologie

Dans la PAC 2015–2020, la part du bud­get alloué aux aides non con­formes à des pra­tiques agri­coles durables demeure bien supérieure aux sou­tiens favor­ables à l’emploi, au bien-être ani­mal, à l’environnement, à la bio­di­ver­sité ou à la lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques. Selon un rap­port de la Cour des Comptes Européen­ne¹, « le paiement vert n’a sus­cité des change­ments dans les pra­tiques agri­coles que sur quelque 5 % des ter­res agri­coles de l’UE » et a con­féré  « une com­plex­ité net­te­ment accrue » à la PAC.

Enfin, les trop rares mesures ciblant des sys­tèmes écologique­ment vertueux ne sont pas suff­isam­ment dotées et pas acces­si­bles à tou·te·s les paysan·ne·s, alors qu’elles con­stituent des leviers intéres­sants pour la tran­si­tion agroécologique.

Une PAC conçue comme aide à la survie et non comme accompagnement vers la résilience

La PAC actuelle n’incite pas les fer­mes à gag­n­er en résilience face aux risques économiques, san­i­taires et cli­ma­tiques aux­quels sont soumis les paysan·ne·s. L’orientation de marché décidée par la PAC expose les paysan·ne·s à des aléas économiques, qui n’ont pas été con­tre­bal­ancés par la réserve de crise européenne, celle-ci n’ayant jamais été déclenchée. Le manque d’incitation à la résilience s’illustre aus­si par l’appui au finance­ment des assur­ances récolte, par lequel l’argent pub­lic finance des com­pag­nies d’assurance privées, sans évo­lu­tion des pra­tiques agri­coles. Pour finir, les critères d’attribution des aides de la PAC accrois­sent la dépen­dance des agriculteur·rice·s à des acteurs-tiers (ban­ques, entre­pris­es de four­ni­ture d’intrants, etc.), ce qui les prive de la maîtrise de leurs dépenses.

Des aides au développement rural louables, mais ne faisant pas le poids face au premier pilier

En France, le bud­get du deux­ième pili­er est cinq fois plus faible que celui du pre­mier dans la PAC 2015–2020, alors qu’il dis­pose pour­tant de dis­posi­tifs cohérents pou­vant mieux cibler les pra­tiques jus­ti­fi­ant un sou­tien pub­lic. Tan­dis que l’emploi dans les cam­pagnes con­stitue un des enjeux clefs du développe­ment rur­al, la mesure dédiée à l’instal­la­tion de jeunes agriculteur·rice·s n’attire qu’une petite moitié des nou­velles instal­la­tions réal­isées en France. D’autres enjeux impor­tants, tels que l’amélio­ra­tion du bien-être ani­mal ou le sou­tien aux démarch­es col­lec­tives, n’ont quant à eux qua­si­ment pas été pris en compte. Cepen­dant, cer­taines mesures, comme l’indemnité com­pen­satoire de hand­i­caps naturels, appor­tent une réponse appro­priée face à un besoin local non pourvu par d’autres outils.

Une nouvelle gouvernance insuffisamment transparente et préparée

La réforme de 2015 a lais­sé aux États mem­bres la pos­si­bil­ité d’adapter des déci­sions européennes à leurs pri­or­ités nationales. Cepen­dant, ils se sont aus­si servis de cette sub­sidiar­ité pour diluer la portée des ambi­tions européennes en matière envi­ron­nemen­tale et sociale. Par ailleurs, l’État français a délégué la ges­tion du sec­ond pili­er aux Con­seils régionaux, alors qu’ils n’y avaient pas été pré­parés. La gou­ver­nance de la PAC ne s’est pas non plus ouverte à la par­tic­i­pa­tion démoc­ra­tique demandée par la société civile. À cela s’ajoutent de graves retards et incer­ti­tudes de paiements pour les agriculteur·rice·s, ain­si que des mod­i­fi­ca­tions des critères d’éligibilité à cer­taines aides comme des niveaux de financement.

En clair, la réforme de 2015 n’a pas su restau­r­er la légitim­ité de la PAC, ni sa lis­i­bil­ité. Il est donc pri­mor­dial que la prochaine révi­sion s’attèle à restau­r­er son sens, sans quoi la PAC pour­rait défini­tive­ment per­dre toute jus­ti­fi­ca­tion auprès des con­tribuables européen·ne·s et tout intérêt aux yeux de ses bénéficiaires.

¹ Rapport spécial n° 21/2017: Le verdissement: complexité accrue du régime d’aide au revenu et encore aucun bénéfice pour l’environnement