En octobre 2020, peu avant le vote de la PAC au Conseil et au Parlement européen, Corporate Europe Observatory (CEO) — une ONG qui travaille à exposer l’accès privilégié et l’influence dont bénéficient les entreprises et leurs groupes de pression dans l’élaboration des politiques européennes — publiait une enquête permettant de mettre en lumière les agissements des lobbies des géants de l’agro-industrie et de l’agro-alimentaire.
A leur tête, le Copa-Cogeca entend bien empêcher la réforme de la PAC de s’aligner sur les nouvelles stratégies “biodiversité” et “de la ferme à la table” de la Commission européenne.
La nécessaire réforme d’une PAC obsolète
Alors que se multiplient les études prouvant que la PAC actuelle privilégie l’industrie alimentaire et les grands propriétaires terriens au dépens des petits paysans et que les pratiques agricoles industrielles ont des effets néfastes sur le revenu paysan, le bien-être animal, ou encore la souveraineté alimentaire de l’Union européenne et des pays du Sud, certains acteurs semblent tout faire pour obtenir le statu quo de la réforme de la PAC.
A leur tête, un acteur clé a été imaginé pour défendre leurs intérêts : le Copa-Cogeca. Se décrivant comme “la voix unie des agriculteurs et de leurs coopératives dans l’Union européenne”, CEO le définit plutôt comme “un groupe de pression hybride composé de syndicats d’agriculteurs et d’entreprises — qui se range souvent du côté des géants des pesticides comme BASF, Bayer-Monsanto et Syngenta, et des multinationales de l’agroalimentaire comme Mondelez, Nestlé et Unilever”. En effet, s’il prétend œuvrer pour l’intérêt des agriculteur·rice·s, il semble qu’il soit tout de même plus à l’écoute de ses membres les plus imposants dont les intérêts vont parfois à l’encontre de ces premiers. Pour ce faire, il bénéficie de la force de 37 employé·e·s à Bruxelles et d’un budget de lobbying pouvant atteindre la somme de 2,5 millions d’euros en 2018.
En quoi est-ce que le @copacogeca et #PouruneautrePAC portent 2 visions radicalement différentes pour la future #PAC ? Chers eurodéputés, il faudra choisir votre camp. Vous ne pourrez pas satisfaire les 2 à la fois ! Contradiction point par point des demandes dans ce THREAD👇 https://t.co/WFAgxVSapt
— Pour une autre PAC (@pouruneautrepac) October 20, 2020
Afin de pallier les inégalités et la non durabilité du modèle agricole européen régi par la PAC, la Commission européenne sou la présidence d’Ursula Von der Leyen a mis sur la table deux volets de son Green Deal, la stratégie “de la ferme à la table” et la stratégie sur la biodiversité. Réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides, réduction de 50 % des antibiotiques, réduction de 20 % de l’utilisation des engrais, 25 % des terres agricoles de l’UE consacrées à la production biologique : ces objectifs à horizon 2030 ne s’inscrivant pas dans ceux des mastodontes de l’agriculture européenne, ces derniers ont dès lors choisi d’activer leur meilleure défense.
L’attaque
Pour remettre en question l’ambition de la réforme de la PAC, les acteurs de l’agro-industrie et de l’agro-alimentaire ont mis en place différentes stratégies.
1. Revoir les exigences à la baisse
Depuis que le Green Deal commence à prendre forme au sein des instances européennes, les tentatives de saper ce dernier se multiplient, notamment en invoquant ses conséquences économiques dans le but d’engager une révision des objectifs : réunion de remise en question des coûts générés par la stratégie de la ferme à la table, organisée par le Copa-Cogeca avec la Direction générale de la santé de la Commission européenne ; rapport sur les dommages économiques causés par la législation européenne sur les pesticides, produit par l’European Crop Protection, … Au-delà de détricoter les grands objectifs de ces deux stratégies, les lobbies ont également œuvré pour revoir ces exigences à la baisse en précisant que miser sur l’action volontaire des États membres et des agriculteur·rice·s serait bien plus pertinent… et surtout bien moins contraignant.
2. Décrédibiliser
Remettre en question la pertinence de ces stratégies ainsi que leur validité scientifique fut également une technique mise en place pour fragiliser le Green Deal. Alors que l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA) déclarait en surface adhérer au Green Deal, elle questionnait, à l’occasion d’une réunion avec la DG Agri et dans un document de position, la pertinence des objectifs lui faisant défaut : “le chiffre de 50 % de réduction divulgué n’est pas considéré comme réaliste par l’industrie de la protection des cultures”. Elle exigeait, en outre, “une évaluation minutieuse des compromis basée sur des preuves et non sur la rhétorique” tout en remettant en question la productivité et la soutenabilité de l’agriculture biologique, sans se soumettre à sa propre exigence de preuves et d’argumentation. Lorsque la Commission a fait appel à l’ECPA pour bénéficier de données sur l’usage des pesticides dans les États membres et ainsi étayer ces demandes avec davantage de données, cette dernière a botté en touche en expliquant ne pas être en mesure de répondre à cette demande…
L’accès
Réunions avec la Direction générale de l’agriculture ou avec la Direction générale de la santé de la Commission européen, échanges de mails et rencontres informelles : selon CEO, si ces différentes stratégies existent c’est qu’elles ont pu être permises par “une alliance de lobbies, de politiques et de fonctionnaires”.
“Les dirigeant·e·s européen·ne·s ont toujours traité le Copa-Cogeca non pas comme de simples bénéficiaires de fonds publics, mais comme des partenaires dans l’élaboration des politiques”. C’est ce qu’affirme un article du New York Times rappelant que, pour une “question de tradition”, le Copa-Cogeca bénéficie d’audiences privées en amont de chaque réunion importante du Conseil des ministres européens de l’agriculture, quand les associations environnementales se voient refuser cette même possibilité.
We thank the @EU2020DE and Minister @JuliaKloeckner for taking the time to meet with @COPACOGECA prior to #AgriFish Council. President @JRukwied underlined our commitment to EU Common Policies as well as the importance of a strong #EUbudget for a stronger #FutureofEurope!
💪👩🌾🇪🇺 pic.twitter.com/hNuWrxB9pt— COPA-COGECA (@COPACOGECA) July 20, 2020
Tweet du Copa-Cogeca remerciant la présidence allemande de l’UE et la ministre allemande de l’agriculture, Julia Kloeckner, d’avoir rencontré le secrétaire général du Copa-Cogeca, Pekka Pessonen, et le président du Copa, Joachim Rukwied, également président du Deutschen Bauernverband, juste avant la réunion du Conseil. Réunion dirigée par M. Kloeckner dans laquelle les pays de l’UE se sont mis d’accord sur une position en faveur d’un plafonnement volontaire des subventions de la PAC, et non pas obligatoire.
À la fin de l’été, une nouvelle réunion des ministres de l’agriculture s’est tenue sur la PAC. Alors que 400 organisations de la société civile, parmi lesquelles la plateforme Pour une autre PAC, les interpellaient dans une lettre ouverte pour demander un changement radical de la PAC, aucune d’entre elles n’a été reçue malgré les échanges allant en ce sens avec Julia Klöckner, présidente du Conseil. Le Copa-Cogeca, quant à lui, a été invité et a obtenu la parole pour s’adresser directement à tous les ministres de l’agriculture de l’UE.
En parallèle de la mainmise du Copa-Cogeca sur les institutions européennes, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), membres du COPA, répète également le travail auprès des acteurs nationaux en tant que co-gestionnaire officieux du système agricole français. Sa présidente, Christiane Lambert, vient également d’être élue présidente de l’antenne syndicale européenne pour les deux ans à venir. Depuis l’existence de la FNSEA et de la PAC, les positions des gouvernements français successifs à Bruxelles semblent effectivement être restées très similaires à celles du syndicat, quelle que soit leur orientation politique.
Une semaine après la publication de cette enquête, le Conseil et le Parlement européen votaient tour à tour leur version des trois textes pour la réforme de la PAC. Si il semble aventureux d’analyser la part d’influence des lobbies dans ces textes, il est tout de même possible de dire que, dans les faits, le Conseil n’a répondu à aucune des nombreuses attentes sociétales. Il n’apporte non plus aucune réponse aux défis sociaux et économiques auxquels est confronté le monde paysan actuel. De son côté, le Parlement européen semble avoir choisi la voie de la demie mesure : les améliorations à la marge du projet de règlement sur les plans stratégiques adoptées par les eurodéputé·e·s entrent presque toutes en contradiction avec d’autres dispositions, faisant du texte un fourre-tout absurde inapte à orienter les paysan·ne·s européen·ne·s.
Pour en savoir plus sur les votes du Conseil et du Parlement européen, retrouvez notre série d’articles sur le sujet.