Le compte-rendu d’étape du débat “ImPACtons!” a été publié le 24 juin par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Ce document prend notamment en compte le vote en ligne sur la hiérarchisation des objectifs du Plan Stratégique National (PSN) et les contributions déposées sur la plateforme du débat entre le 23 février et le 3 avril. En attendant la reprise du débat au mois de septembre, Pour une autre PAC a décrypté ses principaux résultats.
1. Une forte mobilisation malgré des circonstances exceptionnelles
- La réforme de la PAC est un sujet technique, mais cela n’a visiblement pas découragé les citoyen·ne·s de participer au débat “ImPACtons!”.
- La CNDP estime qu’au total 800 000 personnes ont été touchées par ce débat, y compris via les réseaux sociaux. 8 000 d’entre elles se sont connectées sur la plateforme de débat, dont 7 500 ont participé au vote en ligne sur la hiérarchisation des objectifs du PSN, le reste ayant déposé des contributions ou évalué et commenté les autres contributions. 127 propositions dont 76 concrètes sont ressorties des contributions en ligne.
- Il est difficile de comparer ces statistiques à d’autres consultations du même type en raison de modes de comptage différents d’un·e organisateur·rice à l’autre. De plus, le débat a été suspendu à peine un mois et demi après son lancement en raison de la crise du Covid-19, alors qu’il devait durer cinq mois et inclure des séances de débats en présentiel. Compte tenu de ces délais serrés et des circonstances exceptionnelles, le nombre de participant·e·s peut être interprété comme le signe d’une forte mobilisation autour de la réforme de la PAC.
2. Le rejet du modèle agro-industriel
- Parmi les cinq thèmes soumis à discussion sur la plateforme de débat en ligne[1], le choix du modèle agricole pour notre société est celui qui a recueilli le plus de contributions et de réactions. Une majorité de participante·s ont exprimé un rejet du modèle agro-industriel existant, estimant qu’il est « soumis à des logiques productivistes et de libre-échange, destructrices pour les conditions de vie des agriculteur·ice·s, pour l’environnement et la santé » (p.41).
- Les participant·e·s ne remettent pas en cause le soutien de l’agriculture via les subventions de la PAC, mais plutôt ses orientations et ses modalités, comme le fait d’allouer des aides à l’hectare qui favorisent les grandes exploitations. Ces mêmes participant·e·s « réclament des agricultures différentes de celles actuelles, davantage tournées vers la prise en compte de l’environnement, de la biodiversité et de la préservation des ressources naturelles avec une attention particulière aux conditions de vie des agriculteurrice·s et garantissant une alimentation saine et accessible pour tous. Les aides de la PAC devraient être, selon ceux et celles qui ont exprimé ces positions, réorientées en ce sens » (p.32).
3. De fortes préoccupations environnementales et sociétales
- Dans le cadre du vote en ligne sur la hiérarchisation des objectifs du PSN, les objectifs spécifiques 4, 5 et 6 liés à l’objectif général « Renforcer la protection de l’environnement et l’action pour le climat afin de contribuer aux objectifs de l’Union » ont été jugés « Très prioritaire » ou « Prioritaire » par 97% des participant·e·s. Ce chiffre s’élève à 92% pour l’objectif 3 « Rééquilibrer les rapports de force dans la chaîne de valeur ».
- Ces résultats signifient que la PAC doit avoir pour priorité de renforcer la protection de l’environnement et l’action pour le climat sans que cela ne puisse se faire au détriment des paysan·ne·s. Les citoyen·ne·s sont conscients de leur rôle nourricier, mais aussi du rôle majeur qui leur revient dans la transition agroécologique dont l’urgence est palpable dans les contributions déposées. Or, sans revenu décent et stable, les paysan·ne·s ne pourront pas faire évoluer leurs pratiques durablement.
- Les citoyen·ne·s sont aussi très sensibles à la traçabilité des produits qu’ils·elles achètent et souhaitent davantage de transparence quant à leurs modes de production, avec une attention particulière pour le respect du bien-être animal. Ils·elles sont 88% à avoir jugé l’objectif 9 « Répondre aux attentes sociétales sur l’alimentation, la santé et le bien-être animal » comme « Très prioritaire » ou « Prioritaire ». Globalement, les citoyen·ne·s font davantage confiance à une alimentation bio et locale plutôt qu’industrielle et globalisée pour préserver leur santé et leur environnement, mais aussi pour mieux rémunérer les paysan·ne·s et assurer une meilleure cohabitation dans les campagnes.
4. La recherche de compétitivité et la modernisation de l’agriculture pas du tout prioritaires
- L’objectif 2 « Renforcer la compétitivité » et l’objectif 10 « Encourager la modernisation, accompagner la transition numérique et partager le savoir et l’innovation » ont été jugés comme « Pas du tout prioritaire » par respectivement 49% et 37% des citoyen·ne·s. Ce sont les seuls objectifs à avoir été significativement jugés de la sorte, ce qui indique un fort consensus des citoyen·ne·s quant au degré de priorité à leur accorder dans le futur PSN.
- Les participant·e·s considèrent que ces objectifs doivent être subordonnés aux préoccupations environnementales et sociales jugées très prioritaires. Cela signifie que pour atteindre les objectifs environnementaux et sociétaux, la PAC ne devrait pas reposer sur « des logiques purement et strictement économiques telles que le gain de parts de marchés, les économies d’échelles ou l’intégration des exploitations agricoles pour permettre aux agriculteur·rice·s de peser dans la chaîne de valeur », mais qu’elle « devrait viser un équilibre socio-économique à travers la réduction de la taille des circuits ou une meilleure répartition du produit agricole en faveur des agriculteur·rice·s (et donc en défaveur des autres acteur.rice.s tels que les industries agroalimentaires ou les acteur·rice·s du commerce international » (p.68).
5. Des propositions concrètes qui ne doivent pas justifier un statu quo
- Le croisement de toutes ces données montre que « l’attention des consommateur·rice·s ne se concentre pas uniquement sur ce qui est “bien” pour eux·elles-mêmes (une alimentation « saine », voire bio) mais sur ce qui apparaît “juste” pour plusieurs acteur·rice·s de la chaîne de valeur, à savoir une répartition équilibrée de la valeur, qui ne passe pas par plus de compétitivité de l’ensemble de la chaîne » (p.70).
- Ainsi, « le modèle agro-écologique de demain serait local et marqué par la recherche d’une diversité des produits et des cultures ; protecteur de l’environnement et des animaux et surtout des agriculteur·rice·s et des consommateur·rice·s » (p.69).
- Plusieurs propositions ont émergé pour faire de la PAC un levier de mise en œuvre de ce modèle souhaité, notamment les mesures portées par Pour une autre PAC comme la suppression des aides à l’hectare et la mise en place de paiements pour services environnementaux et de bien-être animal, ou encore le développement des systèmes alimentaires territoriaux.
- Néanmoins, les différents modèles agricoles (agriculture conventionnelle, agriculture biologique, agriculture de précision, agriculture écologiquement intensive…) sont vus par la CNDP comme complémentaires “pour concilier préservation de l’environnement, compétitivité, quantités produites et résilience” (p.81). Ces différentes stratégies permettraient de “s’adapter chacune à un contexte et à un équilibre à trouver afin de faire face aux enjeux et aux besoin et demandes actuels (…)”.
- Pour la plateforme Pour une autre PAC, l’ampleur des préoccupations environnementales et sociales qui ont été exprimées appelle à des choix politiques clairs, à l’opposé d’un statu quo qui risque d’être légitimé par la diversité des modèles agricoles. La PAC doit cesser d’encourager le modèle agro-industriel au travers de son 1er pilier et tenter d’en juguler les effets délétères par le biais de son 2ème pilier. La PAC doit cesser d’encourager une production agricole industrielle néfaste pour l’environnement pour ensuite tenter de valoriser une minorité de produits au travers de labels de qualité. La PAC doit être repensée au service d’une alimentation de qualité, produite dans le respect de l’environnement, des paysan·ne·s et des consommateur·rice·s. La territorialisation des politiques agricoles plus que les différents modèles agricoles doit être le levier d’adaptation aux défis propres à chaque territoire. Ni l’agriculture de précision, ni l’agriculture “raisonnée” ne sont à même de relever ces défis, au motif qu’elles perpétuent voire aggravent la dépendance technique et économique des paysan·ne·s à des acteurs tiers (fournisseurs d’intrants, banques, etc).
- Le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a trois mois pour réagir publiquement au rapport de la CNDP et se prononcer sur les propositions qui ont été émises, en justifiant de leur reprise ou non dans le Plan Stratégique National (PSN). La suspension du débat en raison de la crise du COVID-19 ne doit en aucun cas amoindrir ses chances de déboucher sur la construction d’un modèle agricole et alimentaire conforme aux attentes des citoyen·ne·s.