Même si la définition du Plan Stratégique National (PSN) de la France a eu lieu avant l’élection présidentielle de 2022, la prochaine programmation PAC n’en est pas pour autant figée jusqu’en 2027. Il existe plusieurs opportunités majeures pour modifier le PSN sous le prochain quinquennat, et ce à diverses échéances de ce dernier. La révision de la PAC qui s’appliquera en France à court, moyen et long termes apparait comme indispensable, dans la mesure où l’actuel projet de PSN n’est absolument pas en mesure d’accompagner l’agriculture française dans ses nécessaires mutations économiques, environnementales et sociales. D’ailleurs, plusieurs rapports officiels (notamment un avis de l’Autorité environnementale et une note de la Cour des comptes, ont déjà souligné l’incompatibilité de ce document avec les objectifs affichés par la France en matière de transition agroécologique, y compris des objectifs juridiquement contraignants : stratégie nationale biodiversité, stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, stratégie nationale bas carbone, déclinaison de la stratégie européenne “De la ferme à la table”, etc.
1. Les cent premiers jours : modifier le PSN avant qu’il ne soit approuvé par la Commission européenne
Quel type de modifications est possible à cette échéance ?
La Commission européenne va envoyer à la France ses remarques sur son projet de PSN vers fin mars, sous forme d’une lettre d’observation. Ensuite, la France devra soumettre à la Commission une version améliorée de son PSN, qui démontre avoir pris en compte les remarques ou qui justifie pourquoi il n’est pas jugé opportun de les prendre en compte. À partir de la soumission de cette nouvelle version, la Commission et l’État membre ont trois mois de délai pour négocier le PSN qui sera formellement approuvé par le collège des commissaires. À ce jour, l’approbation des PSN par la Commission est envisagée au mois de septembre 2022.
Autrement dit, après l’entrée en fonction du nouveau Président de la République et du nouveau gouvernement, une fenêtre d’opportunité majeure s’ouvrira pour modifier le contenu du projet initial de PSN français avant son approbation officielle par la Commission européenne. Quelle que soit la couleur politique du nouveau président élu, la modification du projet de PSN se justifiera par la nécessité de prendre en compte les remarques de la Commission européenne et d’aligner l’ambition du PSN français sur la ligne haute des autres États membres, afin de repositionner la France en leader agricole européen.
S’il ne semble pas réaliste d’envisager qu’un nouveau gouvernement puisse intégralement réécrire en quelques semaines un document de plusieurs milliers de pages ayant pris plusieurs années à être préparé, la période des cent premiers jours du quinquennat offre réellement la possibilité de « corriger le tir », en revenant sur certains des arbitrages les plus délétères adoptés par le précédent ministre de l’agriculture, permettant ainsi d’honorer la notion de « réforme » de la PAC et de manière plus importante, d’envoyer un signal de réorientation des politiques publiques au secteur agricole.
Recommandations de modifications de Pour une autre PAC
- BCAE 7 :
- rehausser le barème de points au niveau de l’actuelle proposition pour le niveau de base de l’éco-régime
- supprimer toute possibilité de dérogation pour certaines productions comme le maïs
- BCAE 8 : ne laisser ouverte que la règle d’avoir au moins 4% d’infrastructures agroécologiques = supprimer l’option d’avoir 7% de surfaces d’intérêt écologique dont 3% d’infrastructures agroécologiques
- Paiement redistributif : augmenter la part de budget du premier pilier dédiée au paiement redistributif de 10% à au moins 15%
- Éco-régime :
- supprimer la voie des certifications et créer un niveau 3 de rémunération pour l’agriculture biologique
- pour la voie des pratiques relatives aux terres arables, rehausser le barème de points du niveau de base au niveau de l’actuelle proposition pour le niveau supérieur et créer un barème plus ambitieux pour le niveau supérieur
- supprimer la voie relative aux infrastructures agroécologiques et tripler l’enveloppe dédiée au « bonus haies »
- Aide à l’assurance récolte : limiter l’allocation de cette aide aux contrats assurantiels dont le seuil de déclenchement est à 30% de pertes et non 20%
1er semestre 2023 : poser les jalons d’une transformation progressive de la PAC grâce à la première révision annuelle du PSN
Quel type de modifications est possible à cette échéance ?
Après l’entrée en vigueur des PSN, chaque État membre pourra soumettre une révision de ce dernier par an à la Commission européenne. La préparation des révisions à soumettre s’effectuera lors de la première partie d’année, la seconde partie d’année servant quant à elle de période de négociation avec la Commission, qui a le pouvoir de les approuver ou pas.
Concrètement, la France aura ainsi la possibilité de soumettre une révision de son PSN à la Commission européenne dès la première année de son entrée en vigueur. Cette première révision peut servir à donner le tempo d’une augmentation progressive de l’ambition du plan français jusqu’à la fin de la programmation. Il ne s’agit pas d’imposer aux agriculteurs une modification radicale des règles du jeu un an après l’entrée en vigueur de la réforme, mais d’initier le processus de renforcement progressif et d’annoncer un calendrier clair d’évolutions jusqu’en 2027.
Recommandations de modifications de Pour une autre PAC
- Taux de transfert du 1er vers le 2e pilier : planifier une augmentation graduelle du taux de transfert jusqu’en 2027, à savoir 7,5% en 2023, 10% en 2024, 12,5% en 2025, 15% en 2026, 17,5 % en 2027.
- Paiement de base : réduire d’autant l’enveloppe allouée au paiement de base dans le premier pilier de la PAC, de manière graduelle jusqu’en 2027.
- Conditionnalité sociale : prévoir un renforcement des moyens de contrôle pour augmenter le nombre de fermes bénéficiaires de la PAC effectivement soumises à la conditionnalité sociale
- Aides couplées aux bovins :
- Introduction d’une condition de pâturage des animaux
- Abaissement du plafond à 80 UGB
- MAEC systèmes : flécher l’augmentation graduelle du budget du 2e pilier de la PAC vers l’enveloppe des MAEC systèmes
1er semestre 2024 : se saisir pleinement de la révision à mi-parcours du PSN
Quel type de modifications est possible à cette échéance ?
En plus des révisions annuelles qu’ils peuvent spontanément proposer, les États membres devront aussi transmettre annuellement à la Commission européenne un rapport sur l’avancée de l’atteinte des objectifs qu’ils se sont fixés dans leur PSN. Si la Commission estime qu’un État n’est pas sur la bonne trajectoire et que une rectification de son PSN est requise, alors elle enjoindra l’État à effectuer les améliorations correspondantes dans son PSN. Or c’est en 2024 que la France et la Commission auront une première année de recul sur la mise en œuvre du PSN et qu’ils seront donc mesure d’en tirer des conséquences sur les ajustements requis pour atteindre les objectifs de performance sociale et environnementale annoncés par le pays.
De plus, la modification annuelle du PSN à préparer en 2024 sera celle qui entrera en 2025, année tacitement considérée comme celle d’une sorte de révision à mi-parcours de cette programmation PAC. C’est en effet pour 2025 que le règlement européen prévoit une hausse des exigences à l’égard des PSN et plus particulièrement concernant leur conformité aux objectifs du Pacte vert. À partir de 2025, le PSN français devra explicitement être en conformité avec les objectifs du Pacte vert devenus entre-temps juridiquement contraignants pour les États membres. Autrement dit, le PSN français ne pourra plus se contenter de justifications abstraites sur la contribution globale du PSN à la trajectoire dessinée par des objectifs à horizon 2030, mais il devra démontrer qu’il donne réellement aux bénéficiaires les moyens de changer leurs pratiques de telle manière qu’ils suivent bien la courbe des baisses (en pesticides, engrais azotés, etc.) ou hausses (en infrastructures agroécologiques, surfaces en AB, etc.) imposées par les stratégies « De la ferme à la table » et « biodiversité » de l’Union européenne.
Recommandations de modifications de Pour une autre PAC
- Plafonnement et dégressivité : introduire une dégressivité des aides directes à partir de 60000€ et un plafonnement à partir de 100000€
- Conditionnalité environnementale et éco-régime : mise en conformité de ces dispositifs avec les objectifs du Pacte vert
- Aides couplées fruits et légumes frais : doublement de l’enveloppe dédiée
- MAEC systèmes : renforcer l’ambition du cahier des charges des MAEC touchant au bien-être animal
À partir de 2025 : utiliser l’influence française pour orienter la proposition de prochaine réforme de la PAC
Quel type de modifications est possible à cette échéance ?
Une réforme de la PAC se négocie sur plusieurs années et elle commence généralement à être discutée de manière informelle au niveau européen sitôt passée la réforme à mi-parcours de la PAC en cours. Aussi, la PAC qui devra s’appliquer à partir de 2028 fera l’objet d’échanges entre ministres européens de l’agriculture et la Commission européenne dès 2025.
Historiquement, la France et l’Allemagne sont des pays particulièrement influents sur l’orientation des communications puis des propositions législatives de la Commission européenne pour les réformes de la PAC. Or l’Allemagne vient de se doter d’un nouveau ministre de l’agriculture, issu du parti d’une coalition dont le programme prévoit explicitement le portage au niveau européen de la fin des paiements découplés à la faveur de nouveaux paiements pour services. Aussi, le contexte serait particulièrement favorable à une réforme historique de la PAC si le couple franco-allemand était aligné pour afficher dans l’UE, dès 2025, une ambition commune sur l’orientation de la PAC post 2027.
Recommandations de modifications de Pour une autre PAC
Promouvoir au niveau européen :
- l’introduction d’une finalité alimentaire à la PAC, en plus de celle agricole, pour la transformer en PAAC
- le remplacement des paiements découplés par des paiements pour services et des dispositifs d’accompagnement à la transition agroécologique
- la reconnaissance de l’actif agricole comme unité d’allocation des aides PAC
Et les députés dans tout ça ? Une influence à créer.
L’Assemblée nationale n’a officiellement aucun pouvoir sur le contenu du PSN. Toutefois, les futurs députés pourront utiliser deux leviers principaux pour faire entendre leur voix sur l’évolution de ce document de programmation :
- tous les instruments d’influence indirecte du gouvernement classiquement à leur disposition, comme des rapports d’initiative, des résolutions européennes, des questions au gouvernement, des débats avec ou sans vote, etc.
- la transmission annuelle du rapport de performance sur le PSN établi par la France à l’attention de la Commission européenne et des modifications apportées au PSN, telle que prévu par l’article 274 de la loi « climat et résilience ».
L’accès des députés aux données relatives au PSN transmises annuellement par le gouvernement constitue une opportunité intéressante pour que les élus exercent leur droit de contrôle de l’action du gouvernement et médiatise ce qui leur apparaitrait comme un trop fort immobilisme du ministre en charge de l’agriculture face à la nécessaire évolution du PSN.