Entre mardi 20 et vendredi 23 octobre, les eurodéputé·e·s ont enchaîné les votes pour définir la position du Parlement européen pour la réforme de la PAC. Dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les avis divergent sur le texte acté par le Parlement. Certains parlent d’une PAC équilibrée, résolument plus verte, dont le Parlement peut être fier, tandis que d’autres – dont Pour une autre PAC – ont fait campagne pour que les élu·e·s rejettent ce texte qu’ils ne jugent pas à la hauteur de ce que la PAC devra affronter jusqu’en 2027. Comment s’explique cette différence d’appréciation et sur quoi la plateforme Pour une autre PAC base-t-elle son jugement ?
Une PAC verte ? Tout dépend à quoi on compare.
Premier sujet de débat jusqu’à la dernière minute des négociations et premier, aussi, de controverse dans les commentaires sur le vote : l’architecture environnementale de la prochaine PAC. Alors, cette prochaine PAC, telle que votée par le Parlement européen, sera-t-elle oui ou non plus écologique ? Et bien la réponse varie selon ce qu’on met à la suite de la question : plus écologique que quoi ?
1. Plus verte que les autres politiques agricoles dans le reste du monde ?
Plutôt oui, même si pas partout et quand bien même, est-ce que cela suffit à prouver que la nôtre mérite bien un statut de PAC verte ? Certes, nombre de grandes puissances agricoles mondiales ont une vision très peu écologique de leur agriculture (par exemple, le Brésil, l’Australie, la Chine pour ne citer qu’eux); mais dans quelques pays qui ne sont pas des puissances exportatrices et pour lesquels l’agriculture est pensée au service de la couverture, même partielle, des besoins alimentaires domestiques, il existe bien des politiques agricoles résolument plus vertes que la PAC (en Suisse par exemple).
Cependant, même en établissant la comparaison uniquement entre la politique agricole de l’UE et celle de pays de son calibre, que prouvons-nous d’autre si ce n’est qu’à échelle mondiale, la situation est alarmante ? Oui, le Brésil fait pire que la PAC, and so what ? L’absence totale d’ambition environnementale des autres puissances agricoles ne constitue pas l’étalon à l’aune duquel nous devons évaluer la nôtre. En revanche, indéniablement, le caractère inconsidéré des modes de production agricole dans les pays-tiers doit pousser l’UE à mettre en place des mécanismes de protection de ses paysan·ne·s face à l’importation de denrées alimentaires qui ne respectent pas les standards environnementaux en vigueur chez nous.
2. Plus verte que la PAC actuelle (2014–2020) ?
Oui. Il y a bien des améliorations entre ce que le Parlement a voté pour la réforme de la PAC et ce que fait la PAC actuelle. La conditionnalité environnementale, c’est-à-dire les règles que les paysan·ne·s doivent respecter pour avoir accès aux aides directes, est renforcée (par exemple, ajout d’une obligation de « rotation des cultures sur les terres arables, y compris une culture de légumineuse, à l’exception des cultures sous eau »). Le Parlement européen a aussi fixé une part de dépense minimale pour l’environnement et le climat dans le deuxième pilier (35%).
Mais est-il sérieux de se réjouir de la seule absence de statu quo pour une politique qui représente 30% du budget de l’UE et qui structurera notre modèle agricole jusqu’en 2027 ? Rappelons tout de même que de nombreuses évaluations scientifiques, dont celles de la Cour des comptes européenne, ont porté un jugement très sévère sur l’action environnementale de l’actuelle PAC, la qualifiant tantôt de greenwashing, tantôt d’insuffisante. En bref, oui, la PAC votée par le Parlement européen propose du mieux par rapport à l’existant, mais cela ne constitue en aucun cas un argument pour prouver qu’elle fera bien ou assez.
3. Plus verte que la proposition initiale de réforme de la PAC de la Commission européenne ?
Non. Le Parlement a amélioré le caractère commun de l’architecture environnementale entre les États membres, mais a en revanche affaibli son ambition. En effet, l’architecture environnementale se divise en trois niveaux : la conditionnalité, l’ecoscheme (la nouvelle mesure verte du 1er pilier) et une partie des mesures du 2e pilier.
Sur la conditionnalité, les eurodéputé·e·s ont assoupli les règles initialement proposées par la Commission et ont accordé des exemptions au respect de ces règles à divers types de fermes. Par exemple, ce qui était proposé comme une « interdiction de convertir ou de labourer la prairie permanente sur les sites Natura 2000 » est devenu une « protection adéquate de la prairie permanente sur les sites Natura 2000, selon les plans de gestion propres à ces sites ».
Pour l’ecoscheme, le Parlement a imposé aux États membres d’allouer une part de budget minimale de 30%, là où la Commission n’avait donné aucun chiffre, et a aussi ajouté une liste à la Prévert de type de pratiques pouvant faire l’objet d’une rémunération par l’ecoscheme. Parmi ces pratiques, seule « l’utilisation d’un outil agricole pour la gestion durable des nutriments » est obligatoire ; ce qui sera rémunéré par là ne réduit donc pas du tout obligatoirement l’usage d’engrais chimiques, mais met simplement en place un outil de suivi des quantités utilisées : de la paperasse pour l’agriculteur·rice, sans garantie d’effet positif quelconque pour l’environnement. Le caractère obligatoire du soutien à l’agriculture biologique a lui, été explicitement rejeté. Par ailleurs, la liste contient également ce que Pour une autre PAC considère comme des fausses solutions, à l’instar de l’agriculture de précision.
Sur le 2e pilier, le Parlement a relevé de 5% la part du budget de celui-ci qui devra être consacrée à des mesures environnementales (35% contre 30% proposés par la Commission). Dans le même temps, le Parlement a autorisé la comptabilisation de 40% de la mesure de compensation des handicaps naturels dans ces 35% de budget environnemental, là où la Commission avait exclu sa comptabilisation. En France, la mesure de compensation des handicaps naturels représente 50% du 2e pilier ; autant dire, qu’elle permettrait au pays d’atteindre bien plus vite son quota environnemental si elle peut être comptabilisée. Or toute vertueuse et indispensable que soit cette mesure, elle n’a pas une vocation environnementale, mais sociale (maintenir une activité agricole même dans les zones où le relief et la qualité des sols la rendent par essence moins compétitive). Augmenter de 5% la contribution budgétaire mais en y rendant éligibles plus de choses ne peut donc être considéré comme une amélioration du texte de départ.
4. Plus verte par rapport à ce qui figurera dans la version finale des textes pour la réforme de la PAC ?
Très probablement oui, et c’est ce que semble malheureusement avoir omis une partie des élu·e·s. La version finale des règlements encadrant la réforme de la PAC résultera d’une négociation tripartite, appelée trilogues, entre le Conseil, le Parlement et la Commission, la Commission n’y ayant toutefois pas un statut de colégislateur contrairement aux deux autres institutions. Le Conseil est historiquement toujours très rétrograde sur la PAC : il bloque toute avancée significative pour limiter ou éviter le subventionnement par la PAC de pratiques agricoles ayant un impact négatif sur l’environnement. Dans ces trilogues, c’est systématiquement le Parlement qui tire l’ambition vers le haut, tandis que le Conseil – en outre, plus puissant – s’emploie à faire l’inverse.
C’est bien là où le bât blesse : ce qu’a voté le Parlement la semaine dernière constituera le point le plus ambitieux dans les trilogues et sera affaibli à l’issue de ceux-ci. Les eurodéputé·e·s sont bien conscients de cette réalité et s’ils avaient vraiment voulus obtenir une réforme de la PAC résolument plus verte, alors ils auraient dû largement rehausser les curseurs dans la position du Parlement. Avec un mandat de négociations en faveur d’une PAC timidement plus verte, le Parlement sait qu’il va obtenir au bout du compte une PAC à peine plus verte. Si vraiment c’est à mieux qu’il aspirait, le Parlement se devait d’adopter une position autrement plus ambitieuse.
5. Plus verte par rapport à ce que la PAC devra affronter jusqu’en 2027 ?
Non, non et trois fois non. C’est principalement sur la base de cette question que Pour une autre PAC et tous ses partenaires au niveau européen fondent leur insatisfaction à l’égard du texte voté par le Parlement européen. Nous ne pouvons applaudir une réforme qui rend certaine notre incapacité à lutter contre la contribution de l’agriculture au dérèglement climatique et au déclin de la biodiversité, à rendre les fermes européennes résilientes face aux aléas climatiques et sanitaires de plus en plus nombreux et à assurer dans le temps la souveraineté alimentaire de l’UE. Nous jugeons irresponsable de cautionner une PAC qui, au motif qu’elle ferait un petit pas en avant par rapport à aujourd’hui, reste très en-deçà ce dont nous avons besoin pour relever les défis de la décennie.
SUITE DE L’ANALYSE
1/3 — Que penser du vote de la PAC par le Parlement européen ?
3/3 — Vote au Parlement européen : Une PAC verte ne veut pas dire durable.