Imbrication des calendriers de négociations européens et nationaux
Dans sa proposition législative de 2018, la Commission européenne a inclus un nouveau modèle de mise en œuvre, requérant de chaque État membre qu’il prépare un Plan Stratégique National (PSN) dans lequel il décide des grandes lignes de la mise en œuvre de la réforme de la PAC sur son territoire. Ce nouveau modèle s’inscrit dans une dynamique de renationalisation de la PAC, qui donne en effet plus de marge de manœuvre aux États membres.
Le Plan Stratégique National de la France, à l’instar de ceux des autres États membres, a été élaboré dans un cadre réglementaire incertain. En effet, les négociations au niveau européen et au niveau français se se sont déroulées conjointement : les trilogues, dont la date de clôture a été plusieurs fois ajournée, ont laissé un grand nombre d’incertitudes quant au socle réglementaire sur lequel établir les PSN. Un exercice difficile pour les parties prenantes comme pour les administrations nationales, forcées d’adapter leurs propositions au fil de l’eau pour convenir aux arbitrages en trilogues.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau modèle a donné lieu dans certains États membres à une participation renforcée d’acteurs nationaux non issus de la profession agricole majoritaire, notamment des ONG. En France, l’élaboration du PSN a donné lieu à un processus de participation citoyenne, à travers le débat ImPACtons !. Dans d’autres pays, la déclinaison nationale de la PAC passe par les parlements nationaux sous forme de loi (c’est notamment le cas en Allemagne). La déclinaison nationale de la PAC a donc parfois constitué une opportunité intéressante pour renforcer l’appropriation démocratique de la PAC par les citoyen·ne·s ou leurs représentant·e·s. A l’inverse, dans d’autres pays européens, les gouvernements n’ont pas joué le jeu de consulter largement, si bien que les acteurs agricoles et fonciers traditionnels ont influencé sans contradiction le choix des règles nationales auxquelles ils seront soumis.
Processus de consultation et d’élaboration du PSN français
En France, les consultations sur le Plan Stratégique National ont débuté dès la fin de l’année 2019 notamment à travers l’élaboration d’un diagnostic de l’agriculture française, puis l’organisation du débat public ImPACtons ! en début d’année 2020. Cette phase préparatoire a été suivie d’un cycle de consultation élargi à l’ensemble des autorités en charge de la PAC et parties prenantes (ONG, organisations professionnelles agricoles, syndicats des salarié·e·s de l’agro-alimentaire, services déconcentrés de l’État, Conseils régionaux, agence de paiement, etc). Des réunions d’ordre technique sur les modalités concrètes d’application de la réforme ont été organisées par les services du ministère chargé de l’agriculture. En parallèle, des réunions politiques multilatérales et bilatérales ont donné l’occasion aux parties prenantes de faire part plus directement de leur position au Ministre et devant l’ensemble des acteurs concernés. Cette phase de consultation a débouché sur l’annonce de premiers grands arbitrages le 21 mai 2021 par le Ministre Julien Denormandie lors d’un Conseil Supérieur d’Orientation (CSO), en présence de l’ensemble des parties prenantes.
Les réunions techniques se sont ensuite poursuivies en juin et juillet. Un dernier CSO le 13 juillet 2021 a été l’occasion pour le Ministre d’annoncer les derniers arbitrages techniques permettant d’entamer la rédaction d’une première version complète du PSN. Celle-ci a été terminée le 29 juillet 2021 pour être soumise pour évaluation à l’Autorité environnementale. Cette étape obligatoire inscrite au Code de l’environnement est un préalable à la soumission officielle du PSN à la Commission européenne, attendue pour le 31 décembre 2021 au plus tard. Sur cette base, environ six mois de négociation auront enfin lieu entre la Commission européenne et la France sont prévus au premier semestre 2022, avant d’aboutir à un PSN français officiellement validé par Bruxelles.
Et les Régions dans tout ça ?
Alors que, jusqu’en 2022, les Régions étaient autorités de gestion de tout le second pilier de la PAC, mais soumises au respect d’un cadre national étatique, elles deviendront à partir de 2023 autorités de gestion uniquement pour les aides non surfaciques du second pilier mais avec une pleine autonomie sur ces quelques mesures. Il s’agit des aides à l’investissement, des aides à l’installation (la Dotation Jeune Agriculteur), de la mesure forêt, LEADER, ainsi que des mesures de formation et de coopération. En résumé, les Régions ont perdu en périmètre de compétence mais gagné en autonomie. L’État redevient quant à lui autorité de gestion pour les mesures surfaciques du second pilier. Les mesures surfaciques concernent les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), la conversion en agriculture biologique (CAB) et l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). L’État gérera également l’aide à la gestion des risques et la mesure prédation.
Dans ce cadre, les Régions participent à la rédaction du PSN pour les interventions dont elles ont la compétence. Pour éviter des disparités territoriales trop importantes d’un territoire à l’autre, tout en laissant à chaque Région la possibilité d’affiner les dispositifs selon les caractéristiques propres de ses divers bassins de production, quelques éléments de socle commun devraient être élaboré par Régions de France en concertation avec l’ensemble des Conseils régionaux.