Alors que les propositions pour réformer la PAC se précisent, les réflexions butent encore sur une étape : celle de la négociation du Cadre Financier Pluriannuel (CFP).
Le CFP, ou budget européen, s’étale sur une période de 7 ans et permet de financer les programmes et les actions de l’Union européenne tout au long de cette temporalité. Il est actuellement en cours de négociations pour la prochaine période (2021–2027), selon le processus suivant :
- Le budget pluriannuel est tout d’abord proposé par la Commission européenne, qui détient le monopole de l’initiative, sous forme de règlement.
- Le Conseil européen est alors chargé de dégager un accord politique sur les principales orientations stratégiques du budget.
- Ce règlement doit ensuite être amendé et adopté, à l’unanimité, par le Conseil de l’UE et approuvé par la majorité des député·e·s du Parlement européen, qui disposent d’un droit de véto si le texte final ne leur convient pas.
Ces négociations sont donc déterminantes pour définir l’avenir de l’UE ainsi que celui de la PAC, une politique qui reçoit l’une des plus grandes parties de ce budget (34,5 % du budget européen sur l’année 2020). Mais quelle part du budget sera justement allouée à la PAC pour son prochain cycle ? Comment est-elle discutée ? Et surtout, quels éléments et quelles orientations ce budget permet-il de financer ?
Combien ira à la PAC ?
Si le montant final du budget européen, comme sa répartition entre les différents postes, n’est toujours pas validé et fait encore l’objet d’intenses négociations, nous savons tout de même que celui-ci oscillera entre 1 134 milliards d’euros (proposition de la Commission) et 1 094 milliards d’euros (proposition du Conseil). La question est ensuite de savoir d’où viendront ces financements dans un contexte de sortie récente du Royaume-Uni (contributions des Etats membres ou création de nouvelles ressources propres) et à quoi ils serviront.
Concernant ce second point de débat, la PAC, qui fait partie de la rubrique « ressources naturelles et environnement » totalisant 419,2 milliards d’euros (2014–2020), se retrouve en concurrence avec différents fonds (le Fonds de transition juste de l’UE, tout juste créé, ou encore le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche ou LIFE, le Programme pour l’environnement et l’action pour le climat) dans la hiérarchisation de priorités. De nouvelles priorités géostratégiques, comme la création d’un Fonds de Défense et le contrôle des frontières, ont également contribué à piocher dans le budget de politiques traditionnelles comme la PAC et le Fonds de cohésion, qui risquent de perdre, à eux deux, environ 80 milliards d’euros.
Comment le financement de la PAC reflète deux visions de l’Europe ?
A. Montant global alloué à la PAC
Dans son projet présenté en juin 2018, la Commission européenne a tout d’abord proposé un budget de 365 milliards d’euros pour la PAC 2021–2027, soit une baisse de 43 milliards d’euros par rapport à la programmation 2014–2020 comptant encore le Royaume-Uni.
Cependant, le sommet exceptionnel entre chef·fe·s d’État du 20 février dernier n’a mené à aucun accord : la France a adopté une ligne dure de négociations concernant le budget de la PAC en défendant son maintien. De plus, les quatre principaux groupes du Parlement européen ont déjà menacé d’un véto cette proposition de Cadre Financier Pluriannuel, dans la mesure où le Parlement est partisan d’un budget européen plus ambitieux au global et permettant un maintien du budget de la PAC.
Deux clans peuvent donc être identifiés dans ces négociations : les partisan·e·s d’une baisse du budget de la PAC (certains Etats Membres comme les Pays-Bas, mais aussi les acteur·rice·s budgétaires de la Commission européenne) faisant face aux partisan·e·s d’un maintien (le Parlement européen ainsi qu’une vingtaine d’Etats membres suivant la position de la France).
B. Répartition des fonds de la PAC
Au-delà de savoir combien de fonds seront alloués à la PAC dans son ensemble, il est important de distinguer les fonds fléchés vers le premier pilier (FEAGA : paiements directs aux agriculteurs et dépenses liés au marché) de ceux fléchés vers le second (FEADER : soutien au développement rural). Ici encore, les négociations suivent leur cours :
- La proposition de Cadre Financier Pluriannuel 2021–2027, soumise par le président du Conseil européen aux chef·fe·s d’État, prévoit de maintenir le budget du premier pilier et de renoncer à l’augmentation de 10 milliards du budget du deuxième pilier, préalablement proposée par la présidence finlandaise. Ainsi, dans la dernière version du budget, le FEAGA est proposé à 256,7 milliards d’euros et le FEADER à 72,5 milliards, ce qui équivaut à un deuxième pilier représentant 22% du budget de la prochaine PAC. Pour comparaison, sur la période de programmation actuelle (2014–2020), le FEAGA s’élève à 286 milliards d’euros et le FEADER à 96 milliards, soit 25,1% du budget de la PAC.
- En “contrepartie”, le président du Conseil européen propose :
- Une augmentation de la possibilité de transfert d’un pilier vers l’autre de 15 à 20 % ;
- L’abandon du nouveau critère controversé qu’avait introduit la présidence finlandaise sur la convergence externe, qui visait à obliger les États membres à garantir une aide minimum par hectare bénéficiant de paiements directs d’ici 2027 ;
- Concernant le plafonnement, le chiffre de 100 000€ par bénéficiaire est maintenu mais n’inclurait que le paiement de base (donc hors paiement redistributif, paiement jeunes agriculteurs, ecoscheme) et les États membres pourraient défalquer la masse salariale de la ferme du montant du plafonnement s’ils le souhaitent (option qui deviendrait volontaire pour les Etats membres).
Ainsi, les personnes alliées dans la défense du budget de la PAC ne le sont plus forcément quand il s’agit de dire à quoi devrait contribuer ce budget : au 1er ou au 2e pilier ? Aux anciens ou aux « nouveaux » États membres ? Au profit des actuels bénéficiaires de la PAC ou d’une redistribution à la faveur d’un modèle agricole à taille humaine ?
Quelles seront les prochaines étapes ?
Le contexte de la crise sanitaire du Covid-19 déstabilise l’agenda européen et rend encore plus probable un scénario dans lequel il n’y aura pas d’accord européen à temps sur le CFP pour son application au 1er janvier 2021. En effet, les négociations s’annoncent encore difficiles entre les chefs d’Etat, mais aussi lors des trilogues entre la Commission, le Parlement et le Conseil.
Dans ce cas de figure, le TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’UE) prévoit à son article 312(4) que : « Lorsque le règlement du Conseil fixant un nouveau cadre financier n’a pas été adopté à l’échéance du cadre financier précédent, les plafonds et autres dispositions correspondant à la dernière année de celui-ci sont prorogés jusqu’à l’adoption de cet acte. » Sans accord au niveau européen sur le CFP d’ici la fin de l’année, le budget d’européen 2021 serait donc fondé sur les lignes de celui de l’année 2020.
Pour les défenseurs du budget de la PAC, cela conduit à la situation paradoxale qu’il est davantage dans leur intérêt de ne pas obtenir d’accord sur le CFP cette année, dans la mesure où l’actuel budget de la PAC est supérieur à ce qui est proposé pour le CFP 2021–2027.