Le 17 janvier 2022 se tient la première réunion du Conseil AGRIFISH sous présidence française et donc présidée par le ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie. Le Conseil AGRIFISH est la formation thématique du Conseil de l’UE rassemblant les différents ministres de l’Agriculture des États membres. C’est l’occasion pour Julien Denormandie de présenter le programme de la présidence française en matière d’agriculture. Entamée le 1er janvier, la Présidence française de l’UE (PFUE) sera en effet l’occasion, pour la France, de mettre à l’agenda et de faire avancer prioritairement certains sujets.
Parmi ces priorités, figure en tête ce que Julien Denormandie appelle depuis déjà plusieurs mois « la mère des batailles » : la mise en place de « mesures miroirs » permettant de conditionner les importations des produits agricoles et alimentaires au respect des standards de production en vigueur dans l’UE. Mais qu’est ce que cela signifie réellement ? La France aura-t-elle les moyens de ses ambitions dans le cadre de la PFUE ?
De quoi parle-t-on exactement ?
Depuis l’adoption du Pacte Vert et de la stratégie « De la ferme à la fourchette », visant à mettre l’agriculture européenne sur la voie de la transition agroécologique, la question des importations de denrées produites dans des pays aux normes moins-disantes a pris de plus en plus de place dans le débat, dans un contexte de remise en cause croissante des accords de libre-échange.
Le terme « mesure miroir » désigne la possibilité pour l’Union européenne de mettre en place, dans une législation sectorielle, une application aux produits importés d’une norme de production européenne. C’est déjà le cas, par exemple, sur le bœuf nourri aux hormones, une pratique interdite depuis 1988 dans l’UE et également appliquée aux produits importés. On parle également parfois de « clauses miroirs », un équivalent qui s’applique non pas dans la réglementation sectorielle mais dans les accords de libre-échange en cours de négociations, et permet de conditionner l’octroi de contingents tarifaires au respect de certaines normes.
Au-delà de la question des importations, le sujet des mesures miroirs ouvre également le champ plus large de la réciprocité des normes, qui implique de regarder les deux facettes de nos échanges et donc les normes qui s’appliquent également aux produits exportés. Or, l’UE exporte chaque année vers des pays tiers plusieurs milliers de tonnes de pesticides produits dans l’UE mais dont l’usage est interdit au sein de l’UE¹, des substances que l’on retrouve ensuite dans les produits importés par effet boomerang. Dans ses déclarations successives, Julien Denormandie s’est déclaré favorable à l’instauration de tels mécanismes à l’importation, mais sans mentionner clairement le volet exportation.
Comment se traduirait concrètement l’ambition française en matière de mesures miroirs ?
Plusieurs approches existent pour faire progresser la réciprocité des normes à l’importation. Les déclarations du gouvernement français font état de la volonté de ne pas adopter un règlement unique qui ancrerait définitivement le principe de mesures miroirs dans la législation européenne, le généralisant à l’ensemble des normes de production. La stratégie privilégiée par Julien Denormandie est celle du « petit à petit », visant à inclure respectivement des mesures et clauses miroirs à l’occasion de révisions de législation sectorielle et dans l’ensemble des futurs accords de libre-échange. C’est une approche « mesure par mesure », qui permettrait, selon le gouvernement français, de garantir une acceptabilité plus facile des autres États membres mais également à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), dont la vocation première reste la réduction des obstacles aux commerce. Néanmoins, certaines dérogations existent pour les membres de l’OMC à la libéralisation totale des échanges. La jurisprudence montre notamment que les préoccupations éthiques et environnementales peuvent parfois prévaloir sur le libre-échange. La Fondation pour la Nature et l’Homme, associée à Interbev² et l’Institut Veblen, ont formulé un ensemble de propositions pour mettre en œuvre la réciprocité des normes et évaluer leur compatibilité avec les règles de l’OMC, renforçant ainsi l’idée que des marges de manœuvre existent pour faire avancer les mesures miroirs dans le cadre multilatéral existant. Pour autant, la question continue de diviser au sein du Conseil de l’UE, et c’est pourquoi Julien Denormandie a annoncé vouloir mener une « bataille culturelle » durant la PFUE, afin de mener un travail de conviction auprès des différents États membres.
Peu d’avancées possibles sur le terrain législatif dans le temps imparti de la PFUE
En parallèle de ce travail de conviction, la France bénéficiera de plusieurs opportunités pour cranter des mesures miroirs durant les six prochains mois : parmi les textes qui seront débattus au Conseil d’ici juin figure la révision de la directive sur l’utilisation durable des pesticides (dite « SUD » en anglais), un dossier législatif mentionné par Julien Denormandie comme une opportunité d’avancer sur la réciprocité des normes relatives aux produits phytosanitaires. Il s’agit bien d’un enjeu majeur que de mettre fin aux tolérances à l’importation actuellement en vigueur qui permettent à des denrées présentant des résidus anormalement élevés de pesticides de se retrouver sur le marché européen. Si la France souhaite en effet profiter de la révision de cette directive SUD pour aborder au niveau politique ce sujet des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides autorisés, ces modifications relèvent de la Commission européenne seule. La France n’aura donc en réalité que peu de marge de manœuvre sur ce point au Conseil, la directive sur l’usage durable des pesticides et la réglementation LMR relevant de vecteurs juridiques différents.
Reste à savoir si la concrétisation des ambitions françaises pourra vraiment aller au-delà d’un simple travail de conviction dans le temps imparti de la PFUE. Rien n’est moins sûr au regard du temps long des processus législatifs européens et l’exigence de neutralité qui incombe par ailleurs au pays qui préside le Conseil, censé mettre en retrait ses positions lors des débats pour faciliter le consensus. Par ailleurs, le champ d’application de la réciprocité des normes est très vaste et ne saurait se résumer à la question des pesticides : cela concerne également le bien-être animal, les OGM, mais également les droits sociaux. La PFUE représentera dans tous les cas six mois de travail bien maigres au regard du temps long nécessaire pour poursuivre le chantier de la réciprocité des normes, déjà partiellement entamé ces dernières années.