En avril dernier, les chercheurs Pao­lo Pros­peri et Geor­gios Kleft­odi­mos, rat­tachés à l’Institut Agronomique Méditer­ranéen de Mont­pel­li­er, ont réal­isé une étude pour la Euro­pean Pub­lic Health Alliance (EPHA) sur l’im­pact de deux mesures poten­tielles de la prochaine PAC sur la pro­duc­tion et la con­som­ma­tion de fruits, légumes ou légu­mineuses à des­ti­na­tion de la con­som­ma­tion humaine. Des types de pro­duc­tions actuelle­ment peu soutenues par la PAC, alors même que le niveau de pro­duc­tion est insuff­isant pour cou­vrir les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles français­es.  Pour une autre PAC analyse le con­tenu de cette étude et rap­pelle les pistes mis­es sur la table pour le futur Plan Stratégique Nation­al français pour soutenir ces productions.

Des besoins nationaux actuellement insuffisamment couverts par la production

Actuelle­ment en France, les écarts entre la pro­duc­tion nationale et celle néces­saire à la cou­ver­ture des besoins nutri­tion­nels en fruits, légumes et légu­mineuses sont impor­tants, notam­ment pour les fruits et les légu­mineuses : leur pro­duc­tion devrait aug­menter respec­tive­ment de 85% et 75% pour fournir autant de fruits et légu­mineuses français que ceux que les citoyens sont appelés à con­som­mer. La pro­duc­tion de légumes devrait quant à elle con­naître une hausse de 20% pour répon­dre à ces recom­man­da­tions. Dif­fi­cile donc de con­som­mer cinq fruits et légumes par jour tout en con­som­mant français, dans la mesure où nous impor­tons 50% de ceux que nous con­som­mons. Face à un tel con­stat, il est pri­mor­dial d’orienter les sou­tiens de la PAC vers ces pro­duc­tions déficitaires.

Côté con­som­ma­tion, son niveau est supérieur aux recom­man­da­tions nutri­tion­nelles pour les fruits, légère­ment inférieur pour les légumes, et très inférieur pour les légu­mineuses (il faudrait mul­ti­pli­er par presque qua­tre notre con­som­ma­tion pour con­venir aux recommandations).

Deux mesures simulées : le schéma pour les petits agriculteurs et l’aide couplée 

Les chercheurs ont tout d’abord simulé la créa­tion d’une aide for­faitaire pour les petites fer­mes. Dans l’étude, le scé­nario est décliné en qua­tre vari­antes en fonc­tion du mon­tant de l’aide allouée (3000 €, 4000 €, 5000 € et 7000 €), pour deux groupes de fer­mes (moins de 10 ha et moins de 20 ha).

Par­al­lèle­ment, les chercheurs simu­lent la créa­tion d’une aide cou­plée des­tinées aux fruits et légumes ain­si qu’aux légu­mineuses (pour la con­som­ma­tion humaine), cette fois-ci sans lim­ite de taille et avec qua­tre vari­antes de mon­tant à l’hectare (1000 €, 2000 €, 3000 € et 4000 €). Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, ni les fruits et légumes frais ni les légumes secs (pois chiche, lentille, etc.) ne béné­fi­cient d’aide cou­plée, mais cela fait par­tie des options mis­es sur la table par le Min­istère de l’Agriculture pour la réforme de la PAC.

Prenant pour objec­tif les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles prévues par le Plan Nation­al Nutri­tion San­té, les chercheurs ont regardé de com­bi­en la mise en place de l’une ou l’autre de ces mesures per­me­t­tait de combler l’é­cart entre les niveaux de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion actuels et les niveaux de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion souhaités.

Les résultats montrent une augmentation non négligeable de la production, permettant de répondre en partie aux recommandations nutritionnelles

Pour les deux types de mesure, on observe une cor­réla­tion pos­i­tive entre l’aug­men­ta­tion des sub­ven­tions et la crois­sance de la pro­duc­tion agri­cole. Avec une aide for­faitaire de 7000 euros pour les fer­mes de moins de 20 ha (scé­nario le plus inno­vant), on observe une aug­men­ta­tion jusqu’à 13% de la pro­duc­tion pour les légumes, 9% pour les fruits et 6% pour les légu­mineuses.  Cette aug­men­ta­tion est encore plus nette avec une aide cou­plée à hau­teur de 4000 euros par hectare, qui fait aug­menter de 19% la pro­duc­tion de légumes !

Mais dans quelle mesure cette aug­men­ta­tion con­tribue-t-elle à attein­dre la pro­duc­tion souhaitée (autrement dit, les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles) ? Se bas­ant sur les deux scé­nar­ios les plus ambitieux pour chaque mesure, les chercheurs mon­trent que ce sont les aides cou­plées qui con­tribuent le plus à combler les écarts entre la pro­duc­tion actuelle et la pro­duc­tion souhaitée, et ce par­ti­c­ulière­ment pour les légumes (voir tableau ci-dessous). On con­state notam­ment dans le tableau que le scé­nario le plus inno­vant pour l’aide cou­plée peut con­tribuer à sat­is­faire 90 % de l’é­cart entre la pro­duc­tion actuelle et les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles. Ces résul­tats sont moins sig­ni­fi­cat­ifs pour les fruits, dans la mesure où l’in­stal­la­tion d’arbres fruitiers néces­site un investisse­ment financier impor­tant et des péri­odes plus longues entre la plan­ta­tion et la con­di­tion de pleine production.

Part de  l’augmentation de la pro­duc­tion qui per­me­t­trait de combler les écarts entre la pro­duc­tion actuelle et et la pro­duc­tion souhaitée

Aides petits agricul­teurs ≤ 10 ha Aides petits agricul­teurs ≤ 20 ha Aides cou­plées
Légumes 40% 60% 90% 
Fruits 9% 10 % 18%
Légu­mineuses < 1% < 1% < 1%

Des impacts moins importants sur la consommation, mais qui permettraient de combler largement les écarts avec les recommandations nutritionnelles, notamment en légumes

Con­cer­nant l’impact des mesures sur la con­som­ma­tion, les ten­dances générales déjà observées pour la pro­duc­tion se con­fir­ment : les sub­ven­tions finan­cières les plus inno­vantes impliquent une con­som­ma­tion plus élevée de fruits, légumes et légu­mineuses, mais dans des pro­por­tions lim­itées (entre 3 et 8 % selon les scénarios).

Ces aug­men­ta­tions de con­som­ma­tion con­tribuent large­ment à combler les écarts entre la con­som­ma­tion actuelle et les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles pour les légumes (l’écart étant actuelle­ment faible, bien que des fortes iné­gal­ités sub­sis­tent au sein de la pop­u­la­tion). Pour les fruits,  la con­som­ma­tion sat­is­fait déjà les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles. Enfin pour les légu­mineuses, l’augmentation de la con­som­ma­tion est très insuff­isante pour combler l’écart avec les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles. Cette faible aug­men­ta­tion de la con­som­ma­tion de légu­mineuses n’est pas unique­ment due à une faib­lesse ini­tiale de la con­som­ma­tion, mais égale­ment à la con­cur­rence avec les pro­duc­tions dédiées à l’alimentation animale.

Quels enseignements pour la mise en œuvre de ces mesures dans le futur Plan Stratégique National ? 

En résumé, si les sub­ven­tions sont intéres­santes pour aug­menter la pro­duc­tion, elles le sont par­ti­c­ulière­ment pour les légumes pour lesquels l’augmentation de la pro­duc­tion comme de la con­som­ma­tion per­met sig­ni­fica­tive­ment de se rap­procher des niveaux néces­saires pour cou­vrir les besoins nutri­tion­nels et génère égale­ment une hausse de la consommation.

La pre­mière mesure simulée, l’aide for­faitaire pour les fer­mes de moins de 10 ou 20 ha, se rap­proche du “sché­ma pour les petits agricul­teurs”, une pos­si­bil­ité offerte par le règle­ment européen, mais qui ne fig­ure pas à ce jour dans les hypothès­es retenues pour le futur Plan Stratégique Nation­al (PSN) de la France. On observe cepen­dant qu’elle pour­rait à la fois per­me­t­tre de soutenir des petites fer­mes actuelle­ment exclues du sys­tème d’aide, tout en con­tribuant à combler en par­tie le déficit de pro­duc­tion nation­al pour les fruits et légumes notamment.

Quant aux aides cou­plées, il faut savoir qu’à l’heure actuelle, ni les fruits et légumes frais ni les légumes secs (pois chiche, lentille, etc.) n’en béné­fi­cient, mais cela pour­rait chang­er. En effet, une propo­si­tion d’aide cou­plée “fruits et légumes” est sur la table des négo­ci­a­tions pour le futur PSN français : une aide réservée aux “légumes et petits fruits”, exclu­ant donc l’arboriculture, et réservée aux fer­mes ne dépas­sant pas 3 ha env­i­ron, per­me­t­tant de soutenir 3000 fer­mes. Une ambi­tion cer­taine­ment insuff­isante au regard des besoins req­uis, mais qui va tout de même dans le sens d’un sou­tien ciblé vers des types de pro­duc­tion aujourd’hui défici­taires. Quant aux légu­mineuses, il est pri­mor­dial que les aides cou­plées ne sou­ti­en­nent pas exclu­sive­ment les pro­téagineux et légu­mineuses four­ragères, mais bien aus­si celles à des­ti­na­tion de la con­som­ma­tion humaine ; il est néan­moins à prévoir que l’enveloppe dédiée à ce type de légu­mineuses soit anec­do­tique dans le futur PSN.

Au delà du détail de chaque scé­nario, cette étude mon­tre que les aides cou­plées ne sont pas seule­ment un moyen de soutenir le revenu des agricul­teurs spé­cial­isés dans des pro­duc­tions peu aidées par la PAC, mais qu’elles ont une véri­ta­ble final­ité ali­men­taire dès lors qu’elles sont allouées de manière cohérente avec l’al­i­men­ta­tion que nous voulons.