Peut-être avez-vous déjà enten­du par­ler de l’éco-régime, cette future mesure envi­ron­nemen­tale du pre­mier pili­er de la PAC : une aide au revenu cen­sée rémunér­er les ser­vices envi­ron­nemen­taux ren­dus par les agriculteur·rices, donc con­di­tion­née à la mise en œuvre de pra­tiques vertueuses. En quoi ce nou­veau dis­posi­tif éco-régime con­stitue-t-il une nou­veauté par rap­port à la précé­dente PAC ? Quelles sont les marges de manœu­vre du gou­verne­ment dans la déf­i­ni­tion de ce dis­posi­tif et l’ambition envi­ron­nemen­tale est-elle assurée à ce stade ? Quelles sont les dif­férentes posi­tions exprimées sur le futur éco-régime français ?

A l’heure où les grands arbi­trages sur le Plan Stratégique Nation­al approchent, Pour une autre PAC met au clair les enjeux de cet éco-régime.

Un cadre européen assez flou et des arbitrages encore décisifs en trilogues

Dès 2018 dans sa propo­si­tion lég­isla­tive, la Com­mis­sion européenne annonce la créa­tion d’une nou­velle inter­ven­tion : les “éco-régimes” ou “pro­grammes pour l’environnement et le cli­mat”.  Les éco-régimes vien­nent rem­plac­er ce qui, dans la précé­dente pro­gram­ma­tion était appelé le “paiement vert” : un paiement à hau­teur de 30% du pre­mier pili­er, con­di­tion­né lui aus­si à des pra­tiques envi­ron­nemen­tales. Cepen­dant, ce dernier a don­né des résul­tats plus que mit­igés : seules 5% des fer­mes européennes ont dû chang­er leurs pra­tiques envi­ron­nemen­tales pour y avoir accès1, pri­vant ain­si cette mesure de toute réelle ambition.

La Com­mis­sion européenne a fourni une liste indica­tive et non-con­traig­nante en fin d’année dernière, cen­sée “guider” les États mem­bres. On y trou­ve aus­si bien l’agriculture biologique, l’agriculture de pré­ci­sion (recours aux nou­velles tech­nolo­gies), que l’agriculture de con­ser­va­tion des sols, mais égale­ment le bien-être ani­mal, précédem­ment absente du paiement vert.  Le cadre européen laisse ain­si une marge de manœu­vre non nég­lige­able aux États mem­bres dans la décli­nai­son con­crète de ce dispositif.

Quant à l’enveloppe min­i­male que les États mem­bres devront allouer à ces aides, les posi­tions du Par­lement et du Con­seil dif­fèrent en tri­logues2. Le Par­lement a voté un éco-régime à min­i­mum 30% du pre­mier pili­er, con­tre 20% pour le Con­seil. Les négo­ci­a­tions pour­raient bien débouch­er sur un com­pro­mis à 25%, ou sur un pour­cent­age pro­gres­sif au fil de la pro­gram­ma­tion. Même si rien n’empêche un État mem­bre de sanc­tu­aris­er un bud­get supérieur, il y a fort à pari­er que nom­breux seront ceux qui souhaiteront s’aligner sur ce min­i­mum européen. Cet arbi­trage reste donc cru­cial au niveau européen. 

Une ambition environnementale pas encore assurée

L’é­co-régime, sym­bole d’une réforme ambitieuse sur le plan envi­ron­nemen­tal ? Dif­fi­cile de s’en assur­er à ce stade des négo­ci­a­tions au niveau nation­al. Bien que les arbi­trages sur ce sujet n’aient pas encore été com­mu­niqués, les pris­es de posi­tions publiques de la pro­fes­sion agri­cole majori­taire comme du min­istre lui-même font crain­dre que  l’éco-régime soit à nou­veau une mesure de green­wash­ing.

Pre­mière­ment, la ques­tion du niveau d’ambition est fon­da­men­tale. Pour la plate­forme Pour une autre PAC, l’éco-régime doit per­me­t­tre la rémunéra­tion de pra­tiques vertueuses, autrement dit d’efforts déjà con­sen­tis par la ferme. Or, il est indé­ni­able qu’au­jour­d’hui, toutes les fer­mes français­es n’atteignent pas un niveau de pra­tiques envi­ron­nemen­tales sus­cep­ti­bles de déclencher une telle rémunéra­tion. Par con­séquent, un éco-régime “acces­si­ble à tous”, selon la FNSEA, ou “inclusif” selon Julien Denor­mandie, reviendrait à définir des critères d’éli­gi­bil­ité à l’éco-régime sur la base de leur adop­tion préal­able par la qua­si-total­ité des agriculteur·rices. En raison­nant ain­si à l’envers, les décideur·ses privent l’agriculture française de la capac­ité de réori­en­ta­tion de la future PAC.

Deux­ième­ment, le pour­cent­age de bud­get alloué par la France à l’éco-régime. Pour avoir un effet inci­tatif et rémunér­er les paysan·nes à hau­teur des ser­vices ren­dus, les mon­tants d’aide doivent être sig­ni­fi­cat­ifs, ce qui ne sera pos­si­ble que si la France se dote d’une enveloppe suffisante.

Autre enjeu de taille : la liste de cer­ti­fi­ca­tions qui don­neront automa­tique­ment accès à l’éco-régime. Sur ce sujet, Pour une autre PAC s’oppose forte­ment à l’inclusion du label HVE, qui ne saurait être mis sur le même plan que la cer­ti­fi­ca­tion en agri­cul­ture biologique. Avec ce nou­v­el éco-régime, le mon­tant d’aide pour les agriculteur·rices bio pour­rait même dras­tique­ment baiss­er par rap­port à la précé­dente pro­gram­ma­tion, une men­ace récem­ment mise en avant par la FNAB3.

Julien Denormandie se trompe sur la finalité de l’éco-régime

Très récem­ment, le min­istre de l’agriculture et de l’al­i­men­ta­tion, Julien Denor­mandie, déclarait, dans une inter­ven­tion publique à pro­pos des négo­ci­a­tions en cours sur la réforme de la PAC, que le nou­veau dis­posi­tif “éco-régime” reve­nait à pren­dre 25% du “salaire des agricul­teurs” et de ne leur ren­dre que si ces derniers “met­tent en place des tran­si­tions agroé­cologiques”. Une affir­ma­tion pour le moins hasardeuse (dans la mesure où les aides ne con­stituent pas à pro­pre­ment par­ler un salaire), mais cen­sée témoign­er de  l’engagement de ce gou­verne­ment à dot­er l’éco-régime d’une réelle ambi­tion, ce que rien ne prou­ve cepen­dant à ce stade.

Nous prenons cepen­dant au mot Julien Denor­mandie :  “le dia­ble se cache dans les détails” et c’est pourquoi la plate­forme Pour une autre PAC restera vig­i­lante et engagée tout au long des négo­ci­a­tions pour porter la voix des paysan·nes souhai­tant voir leurs efforts pour le cli­mat et l’environnement effec­tive­ment récom­pen­sés. C’est la voie d’une PAC plus juste et plus durable.

1 Cour des comptes, décembre 2017
2 Phase de négociations interinstitutionnelles encore en cours qui devrait permettre d’aboutir d’ici fin mai à une version définitive du règlement européen sur le PAC
3 Fédération Nationale d’Agriculture Biologique