Lundi 21 mars, sur mise à l’agenda de la présidence française du Conseil de l’UE, le ministre de l’Agriculture français, Julien Denormandie, a orchestré un débat entre ses homologues européens et la Commission européenne sur l’approbation des plans stratégiques nationaux (PSN) de la PAC. Ce débat s’est tenu après que les États membres ont rendu leurs copies et avant que la Commission européenne ne leur rende un avis (au plus tôt fin mars), sur la base duquel ils devront à nouveau soumettre une version de leur plan avant validation définitive au plus tard à l’automne 2022. Dans un contexte de remise en cause des stratégies du Pacte Vert européen, sur fond d’instrumentalisation de la crise en Ukraine par l’agro-business, les États membres ont profité de cet échange de vue pour appeler la Commission à procéder à une validation « flexible et rapide » des PSN, alors que sa procédure d’examen rigoureuse est pourtant la seule garante du caractère commun de la prochaine PAC et du renforcement de son ambition sociale et environnementale.
Un débat censé garantir plus de transparence dans l’analyse des PSN, mais qui s’apparente finalement à un appel collectif au nivelage par le bas et à la flexibilité
L’échange de vue sur les PSN qui s’est déroulé hier, retransmis en direct partait d’une intention louable : faire en sorte que la Commission puisse partager un premier état des lieux du contenu des PSN et expliciter ses attentes en termes de méthode et de calendrier pour la suite du processus d’examen. Après une présentation du commissaire à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, les États se sont succédés dans leur prise de parole pour effectuer peu ou prou la même requête auprès de la Commission : approuver rapidement et « sans heurt » les PSN en suggérant de ne pas prendre pleinement en considération les « lettres d’observations » dans lesquelles la Commission listera les éléments qu’elle souhaiterait voir modifiés dans chacun des PSN avant de les valider définitivement.
Les États membres sont cependant tous soucieux d’obtenir une approbation rapide de leur plan, afin d’avoir une marge de manœuvre suffisante pour instrumenter la future PAC dans leur pays et informer les agriculteurs des nouvelles règles en vigueur au moment des premiers semis. Ce besoin de visibilité pour les agriculteurs est légitime, mais ne doit pas servir de prétexte à une validation hâtive des PSN : avec des moyens supplémentaires dans les administrations, les délais d’instructions des PSN et de paiements des aides peuvent être tenus sans pour autant détricoter les différentes phases de validation européennes. Face à cette contrainte de calendrier, la Commission pourrait être tentée de jouer la montre et de conditionner une validation rapide d’un PSN au respect des recommandations formulées dans sa lettre d’observation. Cette stratégie ne sera cependant pas évidente tant la pression mise hier par le Conseil est forte, exigeant de la Commission qu’elle ne fasse pas la difficile.
En France comme dans les autres États membres, la transition agroécologique ne doit pas être sacrifiée sur l’autel d’une fausse promesse d’accroissement de la production.
Les PSN européens étaient déjà loin de répondre aux enjeux majeurs auxquels le secteur agricole doit faire face (disparition chronique des paysans, effondrement de la biodiversité, nécessité d’adaptation aux évènements climatiques, etc.). Désormais, leur ambition est encore plus fragilisée en raison de l’utilisation fallacieuse de l’argument selon lequel nous n’aurions désormais plus le luxe de nous soucier de l’environnement afin de répondre en urgence aux conséquences de la guerre en Ukraine. Largement relayé par le syndicat agricole majoritaire, cet argument est aussi repris par certains gouvernements des États européens pour remettre en cause le Pacte Vert et les législations qui devraient en découler, mais également à très court terme, pour suggérer une validation clémente et au rabais des déclinaisons nationales de la PAC.
Par exemple, les voix se multiplient pour exiger, pendant l’année 2023, des dérogations aux critères environnementaux qui seront fixés dans la nouvelle PAC, comme l’obligation de détenir des surfaces dites « non productives », favorables à la biodiversité (arbres, haies, jachères, etc). Pourtant, le maintien de telles pratiques est indispensable pour garantir, en Europe, des écosystèmes de production fonctionnels, aptes à nous nourrir aujourd’hui comme demain. Rappelons par ailleurs que c’est moins le manque de blé que la hausse de son prix qui menace aujourd’hui la sécurité alimentaire d’une partie du monde¹.
L’examen des PSN par la Commission : une étape cruciale qui doit permettre d’aligner l’ambition des États membres et de corriger le tir sur certaines lacunes évidentes.
Comme nous l’avons rappelé lors d’un webinaire organisé en amont de ces débats en Conseil, les organisations membres de Pour une autre PAC restent attentives au processus d’approbation des PSN. Si notre voix n’a pas été suffisamment entendue durant la phase de consultation au niveau national pour son élaboration, il nous semble tout aussi regrettable que le travail d’examen des PSN par la Commission, pourtant ultime garant de l’ambition comme de l’uniformité de la politique agricole européenne, soit aujourd’hui considéré comme une formalité auxquels les États membres pourraient se soustraire. Niveler par le bas le contenu des PSN ne résoudra ni les conséquences alimentaires de la guerre en Ukraine pour les plus démunis chez nous, ni pour les populations des pays du Sud.