Qua­tre chercheurs de l’INRAE (Vin­cent CHATELLIER, Cécile DETANG-DESSENDRE, Pierre DUPRAZ, Hervé GUYOMARD) ont pub­lié au début du mois de mai un arti­cle sci­en­tifique inti­t­ulé “La sen­si­bil­ité du revenu des exploita­tions agri­coles français­es à une réori­en­ta­tion des aides dans le cadre de la future PAC post-2023”. Il présente les résul­tats de plusieurs scé­nar­ios d’évolution des critères d’attribution des aides de la PAC, ain­si que leur impact sur le revenu des agricul­teurs, selon les types de pro­duc­tion et la taille des fer­mes. Cet arti­cle abor­de donc la ques­tion de l’impact des aides unique­ment sous l’angle de la per­for­mance économique et pro­duc­tive, et non sous celui de la per­for­mance cli­ma­tique et environnementale.

Résumé des scénarios simulés et faisabilité dans le cadre du PSN

L’équipe INRAE établit un pre­mier con­stat : lis­sé sur les dix dernières années, la part des aides directes dans le revenu des agricul­teurs français est de 77 % en moyenne (toutes ori­en­ta­tions de pro­duc­tion con­fon­dues). Cette sen­si­bil­ité du revenu aux aides est encore plus forte pour cer­taines pro­duc­tions, comme celles de bovins viande, où la part des aides directes atteint presque 200 % du revenu (en moyenne sur 10 ans). Un con­stat préal­able indis­pens­able pour com­pren­dre ensuite l’impact des scé­nar­ios sur le revenu des fer­mes, et qui inter­roge sur l’efficacité des aides directes à garan­tir un revenu décent aux agriculteurs.

Les chercheurs simu­lent ensuite les scé­nar­ios suiv­ants, qui s’inscrivent dans les deman­des de la plate­forme Pour une autre PAC :

  • Un scé­nario redis­trib­u­tif qui per­met, par un prélève­ment de 8 % sur l’enveloppe des aides de base à l’hectare, la créa­tion d’une aide for­faitaire aux petites fer­mes qui ne béné­fi­cient actuelle­ment d’aucun sou­tien direct de la PAC. Cette option est pour le moment écartée par le Min­istère de l’Agriculture et de l’Alimentation pour la prochaine PAC.
  • Un scé­nario de con­ver­gence interne totale du mon­tant à l’hectare des aides de base, actuelle­ment vari­able d’un ter­ri­toire à l’autre (con­for­mé­ment à des références his­toriques qui n’ont plus de sens aujourd’hui). Ce scé­nario per­met d’arriver à  un mon­tant uni­forme pour le paiement de base à l’hectare sur l’ensemble du ter­ri­toire. Ce proces­sus a large­ment pro­gressé lors de la précé­dente pro­gram­ma­tion, mais Julien Denor­mandie souhaite retarder son achèvement.
  • Un scé­nario de ren­force­ment du paiement redis­trib­u­tif, qui per­met d’attribuer une aide plus impor­tante sur les pre­miers hectares d’une ferme, favorisant ain­si celles de taille petite et moyenne. Le scé­nario simule un dou­ble­ment de la part de bud­get allouée à ce dis­posi­tif par rap­port à l’actuelle pro­gram­ma­tion. Le min­istre sem­ble réti­cent à cette idée, la con­sid­érant — de manière infondée — comme néces­saire­ment néfaste aux ter­ri­toires con­sid­érés comme des zones intermédiaires.

Les chercheurs simu­lent égale­ment les effets redis­trib­u­tifs de mesures à portée environnementale :

  • Un trans­fert de 15 % de l’enveloppe du pre­mier pili­er vers les Mesures Agro-Envi­ron­nemen­tales et Cli­ma­tiques (MAEC) et les mesures de sou­tien à l’agriculture biologique dans le sec­ond pili­er. Ce scé­nario cor­re­spond à un dou­ble­ment du taux de trans­fert actuel (7,5 %), que le Min­istre refuse à ce stade de remet­tre en cause.
  • Un éco-régime ciblé sur les prairies per­ma­nentes et l’usage des pes­ti­cides sur les ter­res arables : une ver­sion qui met l’é­co-régime au ser­vice d’ob­jec­tifs envi­ron­nemen­taux très pré­cis et qui le rend de fait beau­coup plus con­di­tion­né donc sélec­tif que ce que le Min­istère de l’Agriculture et de l’Alimentation envis­age pour l’éco-régime dans le PSN.

Malgré les limites de l’approche purement économique, les résultats devraient, selon les chercheurs, inciter à une réorientation des aides

Les résul­tats des pre­miers scé­nar­ios dits “pure­ment redis­trib­u­tifs”, des­tinés à opér­er une meilleure répar­ti­tion des aides directes du pre­mier pili­er de la PAC, génèrent glob­ale­ment une redis­tri­b­u­tion impor­tante des pro­duc­tions de céréales et oléo-pro­téagineux, ain­si que des grandes exploita­tions de rumi­nants, vers les légumes et les fruits. 

  • L’aide pour les petites fer­mes per­me­t­trait de rémunér­er 120 000 struc­tures : une redis­tri­b­u­tion au détri­ment des fer­mes les plus dépen­dantes des aides de base du pre­mier pili­er (les bovins viande ain­si que les céréales et oléoprotéagineux).
  • Quant à la con­ver­gence, les chercheurs mon­trent qu’elle opère une redis­tri­b­u­tion géo­graphique des régions du nord vers le sud de la France et serait large­ment béné­fique aux fer­mes pro­duc­tri­ces de viande bovine (com­pen­sant ain­si la perte du scé­nario précé­dent). Les chercheurs con­clu­ent à la néces­sité d’aboutir à une har­mon­i­sa­tion totale des droits à paiement.
  • Enfin, le paiement redis­trib­u­tif opère une redis­tri­b­u­tion des fer­mes de très grande taille (l’effet négatif sig­ni­fi­catif sur le revenu n’apparaissant qu’à par­tir de 200 ha) vers les fer­mes de tailles moyennes, et donc mécanique­ment vers les pro­duc­tions se faisant sur de petites et moyennes surfaces.

Quant aux scé­nar­ios en faveur du cli­mat et de l’environnement, ils génèrent en moyenne une baisse de revenu à court terme car en effet, les scé­nar­ios sont envis­agés “toutes choses égales par ailleurs” et ne per­me­t­tent donc pas de mesur­er l’ef­fet sur les prix (plus rémunéra­teurs en bio par exem­ple). Les chercheurs pré­cisent que l’analyse coût-béné­fice com­plète de ces scé­nar­ios sup­poserait la val­ori­sa­tion moné­taire de ces ser­vices envi­ron­nemen­taux et de leurs con­séquences (san­té publique et coût de dépol­lu­tion de l’eau par exem­ple), actuelle­ment inexistante.

Mais au-delà des impacts économiques à court terme, un des enseigne­ments majeurs de ces scé­nar­ios envi­ron­nemen­taux est le suiv­ant : “le con­sen­te­ment à con­trac­tu­alis­er des mesures cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­tales croît avec le prélève­ment opéré sur l’enveloppe des aides directes du pre­mier pili­er pour abon­der des mesures cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­tales. En d’autres ter­mes, la réduc­tion des aides directes de sou­tien des revenus aug­mente les « inci­ta­tions » des agricul­teurs à adopter des mesures cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­tales”. Une con­clu­sion qui devrait appel­er à une reval­ori­sa­tion du sec­ond pili­er, et donc un taux de trans­fert supérieur au taux actuel de 7,5%.

Au-delà des résultats des différentes simulations, le constat des chercheurs est sans appel : le statu quo environnemental n’est pas une option et serait même une erreur stratégique

Les chercheurs sont sans appel sur un point clef de leur con­clu­sion : “le com­pro­mis entre per­for­mances économiques et envi­ron­nemen­tales ne doit pas être util­isé comme un pré­texte pour main­tenir inchangée la PAC actuelle, ou ne la mod­i­fi­er qu’à la marge. Face à l’urgence cli­ma­tique et envi­ron­nemen­tale, le statu quo dans ce domaine n’est plus une option (…).Cela serait même une erreur stratégique sur le moyen et long terme car cela con­duirait, au « mieux » à une éro­sion con­tin­ue du bud­get de la PAC (…), au « pire » à ce que soient imposés des change­ments bru­taux de pra­tiques, en par­ti­c­uli­er dans le cadre du Pacte Vert (CE, 2019) auquel l’agriculture doit, comme tout secteur d’activité, con­tribuer, et auquel elle ne pour­ra pas échapper.”

Indé­ni­able­ment, la sit­u­a­tion économique de nom­breuses fer­mes est aujourd’hui si mau­vaise que chang­er les con­di­tions d’allocation des aides de la PAC con­stituerait imman­quable­ment une désta­bil­i­sa­tion pour beau­coup d’entre elles. Mais plutôt que de ten­ter de les main­tenir en survie quelques années encore, à coup de mil­liards de sub­ven­tions, les chercheurs pré­conisent de met­tre à prof­it le pou­voir ori­en­tant des aides de la PAC pour con­duire ces fer­mes au change­ment de sys­tème req­uis pour assur­er leur péren­nité à moyen terme.