Dif­fusée début juin, l’émission Cash Inves­ti­ga­tion dénonçait l’inégale répar­ti­tion des aides et ses con­séquences sur une par­tie des exploita­tions agri­coles, peu soutenues finan­cière­ment, alors même qu’elles sont pour­voyeuses d’emploi et de dynamisme en milieu rur­al. A quelques jours des derniers arbi­trages français sur le Plan Stratégique Nation­al (PSN) de la PAC, le dernier numéro des “Notes et études socio-économiques” du min­istère de l’Agriculture, met en avant une étude de trois chercheurs de l’INRAe sur la PAC et l’emploi agri­cole en Europe venant appuy­er ces con­stats. Celle-ci per­met de con­stater, en France comme dans les autres pays de l’UE, que la PAC ne mobilise pas suff­isam­ment les out­ils qui per­me­t­tent de favoris­er l’emploi agri­cole et d’endiguer la dis­pari­tion ten­dan­cielle du nom­bre de fer­mes et d’agriculteur·rices. Ils craig­nent que les effets délétères de la dernière PAC sur l’emploi ne s’accentuent avec la pour­suite, sans réel change­ment, des modal­ités d’attribution des aides dans la nou­velle PAC.

Renouvellement des générations agricoles : un défi majeur à relever

Cette étude nous rap­pelle d’abord les grandes évo­lu­tions qui affectent le monde agri­cole : le vieil­lisse­ment ten­dan­ciel¹ (bien que la France ne soit pas dans la sit­u­a­tion la plus cri­tique com­parée à d’autres États mem­bres), la diminu­tion con­stante du nom­bre d’emploi agri­cole², mais égale­ment le ren­force­ment du salari­at. Face à ces con­stats, les auteurs se penchent sur les poli­tiques publiques et leurs capac­ités à ren­forcer ou infléchir ces ten­dances. Si la PAC a volon­taire­ment encour­agé la réduc­tion des act­ifs agri­coles dans les années soix­ante afin de mod­erniser et d’augmenter la taille des exploita­tions, l’UE se penche désor­mais sur ce qui est con­sid­éré comme un prob­lème, à savoir la dif­fi­culté de renou­vel­er les généra­tions d’agriculteur·rices, qui a pour con­séquence la diminu­tion du nom­bre de fermes.

Des instruments redistributifs qui favorisent l’emploi insuffisamment mobilisés

Par­mi les out­ils désor­mais ouverts dans la PAC pour favoris­er l’emploi agri­cole, les chercheurs insis­tent sur la per­ti­nence des instru­ments de redis­tri­b­u­tion des aides et sur la néces­sité de les ren­dre con­traig­nants pour éviter des mis­es en œuvre dif­féren­ciées entre États mem­bres. Ces recom­man­da­tions rejoignent celles portées par Pour une autre PAC durant la négo­ci­a­tion sur le PSN : ren­force­ment du paiement redis­trib­u­tif et acti­va­tion de l’aide for­faitaire pour les petites fer­mes. Ces pré­con­i­sa­tions en faveur de l’emploi n’ont pour­tant pas été retenues dans le plan français (voir notre arti­cle dédié), qui sera approu­vé cet été par la Com­mis­sion européenne.

Des politiques d’installations inadaptées pour permettre la transmission

Si la poli­tique d’installation ne se résume pas à ses com­posantes inclus­es dans la PAC, les auteurs de l’étude recom­man­dent que les aides à l’installation financées par la PAC ne soient plus réservées aux seul·es « jeunes » agriculteur·rices et pré­conisent un aban­don des critères de taille pour l’éligibilité aux aides à l’installation, au prof­it d’une éval­u­a­tion des per­for­mances économiques. Autant de leviers qui sont entre les mains des Con­seils régionaux, autorités de ges­tion pour les aides à l’installation. Pour le moment, les pre­mières négo­ci­a­tions qui ont eu lieu à l’échelle régionale avec les par­ties prenantes ne lais­sent pas augur­er de change­ment sig­ni­fi­catif en ce sens dans la majorité des territoires.Les auteurs de l’étude con­fir­ment finale­ment notre con­stat d’un renon­ce­ment à faire évoluer la PAC : « Le développe­ment de l’emploi, même s’il est inscrit dans les objec­tifs de la PAC, et notam­ment dans sa pro­gram­ma­tion 2014–2020, n’a pas été au cen­tre des préoc­cu­pa­tions de la Com­mis­sion et des États mem­bres. Si la prochaine pro­gram­ma­tion suit le même sché­ma général, on peut en atten­dre glob­ale­ment les mêmes effets, à savoir une pour­suite de la perte d’emplois dans le secteur agri­cole ». Si nous savons que les élé­ments relat­ifs à l’installation ou à la redis­tri­b­u­tion sont désor­mais entérinés pour l’en­trée en vigueur de la nou­velle PAC en 2023, le Min­istère de l’Agriculture et de la Sou­veraineté ali­men­taire pour­ra rehauss­er l’am­bi­tion à l’oc­ca­sion des révi­sions annuelles du PSN dès 2024, sans quoi, les fer­mes et les emplois agri­coles con­tin­ueront de dis­paraître à petit feu.

¹ 58 % des exploitations européennes sont aujourd’hui gérées par des exploitants de plus de 55 ans
² Moins 400 000 unités de travail annuel entre 2013 et 2016 à l’échelle de l’Europe (-4,2 %)