En décem­bre 2021, Pour une autre PAC annonçait sa volon­té de suiv­re la séquence de la prési­dence française du Con­seil de l’Union européenne (PFUE), alors sur le point de s’ouvrir. Entamée offi­cielle­ment le 1er jan­vi­er 2022, et achevée ce 30 juin,  quel bilan peut-on tir­er de ces six mois de prési­dence française sur les sujets agri­coles ? Quel rôle aura joué la France à la tête du Con­seil AGRIFISH, instance rassem­blant les 27 min­istres européens de l’Agriculture ? 

Une prise limitée sur l’agenda politique, mais des avancées concrètes sur les dossiers législatifs déjà programmés

La prési­dence du Con­seil ne donne en réal­ité que peu de lat­i­tude pour influ­encer l’a­gen­da. De plus, un devoir de neu­tral­ité dans la tenue des débats incombe à l’État qui l’occupe. Néan­moins, elle reste une occa­sion rare pour peser poli­tique­ment et de manière informelle, notam­ment auprès de la Com­mis­sion européenne. De manière générale, la sur­ve­nance de la guerre en Ukraine au mois de mars, cou­plée aux élec­tions prési­den­tielle et lég­isla­tives français­es, aura amoin­dri la capac­ité de la France à faire val­oir son agen­da poli­tique pro­pre en matière d’agriculture. Il n’en reste pas moins que la France aura fait avancer les dossiers lég­is­lat­ifs qui devaient lui incomber inévitable­ment : début juin, con­clu­sion en tri­logue du règle­ment relatif aux sta­tis­tiques sur les intrants agri­coles (voir analyse de Généra­tions futures ici), con­clu­sions sur les cycles durables du car­bone (en vue de la pub­li­ca­tion par la Com­mis­sion d’une lég­is­la­tion sur la cer­ti­fi­ca­tion de crédits car­bone en agri­cul­ture), etc. Sur cer­tains sujets, c’est le Con­seil envi­ron­nement qui a orchestré les dis­cus­sions sur des dossiers impac­tant l’agriculture. C’est le cas de la déforesta­tion importée ou encore des textes du paquet cli­mat sur les puits de car­bone, dossiers sur lesquels la France a réus­si à obtenir un com­pro­mis lors du dernier Con­seil Envi­ron­nement le 28 juin, après que ces sujets aient fait l’objet d’échanges de vue en Con­seil AGRIFISH.

Des ambitions en matière de politique commerciale rabaissées au second plan avec la guerre en Ukraine

Julien Denor­mandie, alors min­istre de l’Agriculture et le l’Alimentation, avait fait de la réciproc­ité des normes européennes appliquées aux den­rées importées (ou « mesures miroirs ») son cheval de bataille. La France souhaitait faire de ce portage poli­tique une pri­or­ité durant sa prési­dence et ain­si inciter la Com­mis­sion européenne à se saisir du sujet pour le traduire légale­ment. Mais force est de con­stater que, comme sur d’autres dossiers, la guerre en Ukraine aura eu rai­son des ambi­tions pro­gres­sistes. Alors que la France souhaitait notam­ment inciter la Com­mis­sion européenne à revoir les lim­ites max­i­males des résidus (LMR) de pes­ti­cides autorisées dans les pro­duits importées, plusieurs États ont demandé une  « approche flex­i­ble » con­cer­nant les con­trôles LMR et les exi­gences en matière d’OGM pour les pro­duits importés d’Argentine, du Brésil et des États-Unis, afin de sup­pléer à l’absence de grains ukrainiens. Ces déro­ga­tions finale­ment octroyées par la Com­mis­sion européenne sont à rebours des ambi­tions français­es ini­tiales. Après la présen­ta­tion du rap­port de la Com­mis­sion sur la fais­abil­ité de la mise en œuvre de la réciproc­ité des normes lors du dernier Con­seil AGRIFISH, la France a ten­té de pass­er le flam­beau à la prési­dence tchèque, l’incitant à con­tin­uer de faire vivre poli­tique­ment le sujet et à s’approprier le rap­port de la Com­mis­sion pour le traduire sur le plan lég­is­latif. In fine, la volon­té affichée de Julien Denor­mandie de « créer un momen­tum poli­tique » autour des mesures miroirs s’est peu con­crétisée dans les faits. Si son ambi­tion est sincère, le gou­verne­ment français aura plusieurs occa­sions pour con­tin­uer de défendre la réciproc­ité des normes à moyen-terme : la pré­pa­ra­tion du futur texte sur la dura­bil­ité des sys­tèmes ali­men­taires, qui sera présen­té fin 2023, et le nou­veau texte de la Com­mis­sion qui entend met­tre fin aux tolérances à l’importation sur les néon­i­coti­noïdes inter­dits d’utilisation dans l’UE.

Une opportunité manquée de retrouver une place de leader en matière d’ambition sociale et environnementale sur le dossier PAC

Si le plus gros des négo­ci­a­tions sur la PAC en Con­seil a été mené en amont, notam­ment sous les prési­dences alle­mande et por­tu­gaise, qui ont respec­tive­ment orchestré l’adoption du man­dat du Con­seil et les négo­ci­a­tions en tri­logue, le sujet PAC n’a pas été absent sous prési­dence française. Le pre­mier semes­tre 2022 se situ­ait entre l’envoi de plans stratégiques nationaux (PSN) et leur appro­ba­tion par la Com­mis­sion européenne : une phase de négo­ci­a­tion entre États mem­bres et exé­cu­tif européen. Dans ce con­texte, Julien Denor­mandie a souhaité met­tre le sujet PAC à l’agenda d’un Con­seil AGRIFISH. Si l’objectif était de don­ner l’occasion aux États mem­bres de ques­tion­ner la Com­mis­sion sur ses méth­odes d’évaluation des PSN dans une logique de trans­parence, il a plutôt été ques­tion pour les États mem­bres, dans un con­texte de guerre en Ukraine, de faire pres­sion sur l’exé­cu­tif européen pour deman­der une appro­ba­tion rapi­de et con­ciliante des PSN (voir notre CP à ce sujet). La réponse de la France à la let­tre d’observation que la Com­mis­sion européenne lui avait adressée en l’incitant à mod­i­fi­er son PSN témoigne à ce titre du peu de con­sid­éra­tion que Julien Denor­mandie a eu à l’égard du proces­sus d’approbation de ces plans, jugeant exagérées les deman­des de mod­i­fi­ca­tions de la Com­mis­sion et revendi­quant plus de marge de manœu­vre pour un décli­nai­son nationale « à la carte » de la PAC.

La France a désor­mais passé le relais à la République tchèque, qui a récem­ment  annon­cé vouloir s’emparer des dossiers agri­coles relat­ifs à la réduc­tion des pes­ti­cides (révi­sion de la direc­tive SUD) et du sujet plus glob­al de la sécu­rité ali­men­taire suite à la guerre en Ukraine, d’ores et déjà mis à l’agenda de la ren­con­tre informelle des min­istres européens de l’Agriculture prévue en sep­tem­bre à Prague. Le pays aura égale­ment à entamer la phase de tri­logue pour les textes sur lesquels un man­dat du Con­seil a été con­clu sous la prési­dence française (comme ceux sur la déforesta­tion importée ou sur les puits de car­bone cités plus haut). C’est égale­ment sous prési­dence tchèque que les PSN seront offi­cielle­ment approu­vés cet été par la Com­mis­sion européenne.